EPILOGUE (1)

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Le clocher de la grande cathédrale sonna.

Après avoir une fois de plus présenté ses condoléances à la famille, le prêtre se retira dans la sacristie. Quelques invités sortirent prendre l'air, tandis que d'autres continuaient de pleurer en silence. L'air était étouffant, sombre, froid. Il y avait une ombre pesante de chagrin dans la grande salle.

Près de l'autel se trouvait un cercueil blanc dans lequel reposait le cadavre de Terrence Kruger. Un drapeau aux couleurs de l'Angleterre recouvrait le caisson de bois. Il y avait, tout autour, plusieurs gerbes de fleurs ; des roses claires, des lys et des œillets. Il y avait également, sur un trépied près du catafalque, une immense photo de l'inspecteur de police.

Il souriait de toutes ses dents. Son visage était lumineux, ses yeux brillaient comme des boules de cristal. Ça faisait chaud au cœur de le voir comme ça. Difficile de croire que cette photo avait été prise à peine cinq semaines plus tôt, alors que le défunt était encore en vie et venait de dire « oui ».

Assise au premier banc, la veuve n'avait pas bronché d'un poil depuis le début de l'homélie. Elle se contentait de respirer. C'était la seule chose que sa force lui permettait de faire pour l'instant. Respirer. Un souffle après l'autre. Comme si elle survivait maintenant, à défaut de vivre.

Elle était vêtue d'un tailleur gris-mauve qui dévoilait ses longues jambes plus pâles que d'habitude. Un chapeau coiffait son chignon, dissimulant une partie de son visage par une voilette grillagée transparente. De temps à autre, des gens venaient lui souhaiter leurs condoléances les plus sincères.

Mais elle ne leur répondait pas. Elle ne les voyait même pas. Elle se contentait de fixer de son regard vide le cercueil de son mari, triturant discrètement l'anneau d'or qui scintillait à son doigt.

Au bout d'un moment, quelqu'un s'assit près d'elle. Sans avoir à se tourner, elle reconnut ce parfum de marlboro, allié avec celui plus subtil de la bétadine.

— Gregory...murmura-t-elle.

— Comment tu vas ?

— Mon mari est mort.

— Je sais...

— Elle a tué Terry.

— Je sais...

— Elle a tué mon mari, le jour de notre mariage.

— ...je sais...

Greg soupira en se prenant le visage entre les mains, veillant à ne pas détacher le bandage blanc qui maintenait sa plaie à la tête fermée. À l'autre bout de la pièce, la chorale avait entamé un requiem triste.

Le son des violons et violoncelles se répandait en un doux écho dans toute l'enceinte religieuse. C'était Amazing Grace. Se mêlaient à la musique, les pleurs déchirants de Sarah et Ginger Kruger, les parents de Terrence. Il faisait froid, et un fin brouillard arasait la ville de Londres.

— La reine nous a envoyé une lettre, elle nous souhaite ses sincères condoléances.

— Ce n'est pas ça qui ramènera Terry.

— Je sais, minauda Greg. J'ai expédié la tienne à ton cousin au Pakistan, Elias. Il devrait la recevoir avec les autres courriers postaux destinés aux soldats. Et si on sortait prendre l'air ?

— Ma tante est-elle venue ? demanda Emma sans quitter des yeux le cercueil.

— Non...elle est restée à l'hôpital...en revanche, ta mère est en route. Elle a insisté pour venir. J'ai bien veillé à ce que personne ne la mette face à de l'alcool, sois en rassurée.

Emma gloussa en soupirant en même temps. Comme si c'était surprenant ; bien sûr que sa tante n'était pas venue. Sa mère ferait le déplacement malgré tous les problèmes auxquels elle faisait face ; et sa tante, encore une fois, s'était désistée. La jeune veuve lutta contre l'envie de rigoler. Elle se souvenait au départ, quand elle s'était promise après la mort de son père que plus jamais elle ne laisserait mourir quelqu'un qu'elle aimait.

Elle avait royalement échoué, c'était le moins qu'on puisse dire.

— Sortons prendre l'air, Emma.

— Greg...tu sens cette odeur de pancakes dans les airs ? glapit la blonde en levant les yeux vers le plafond en ogive.

— Viens, viens avec moi, supplia le brun. Tu as besoin d'air frais.

En effet, ça faisait trois semaines déjà que la jeune infirmière avait ces accès de paranoïa, où elle sentait une singulière odeur de pancakes. Gregory savait en outre, que Terrence aimait bien en faire le matin à Emma, du temps où ils n'étaient pas encore mariés.

— Où est Terry ? Il rentrera tard ce soir, Greg ?

— Emma...Terrence est parti. Est-ce que tu vas bien ?

— Tu as raison, dicta-t-elle en continuant de dévisager le cercueil, Terry est parti. Il y a longtemps qu'il voulait aller visiter l'Afrique. Je devrais peut-être aller l'y rejoindre...

Il y eut quelque chose dans sa façon de dire cette phrase, qui glaça Gregory. Il ne sut pourquoi, mais il en eut des frissons qui le parcoururent de haut en bas.

— Ce n'est pas une bonne idée, objecta-t-il en posant ses mains sur celles de la demoiselle.

— Tu as raison, gloussa Emma d'un rire sans joie. J'avais oublié, je suis de garde toute cette semaine. Je ne vais pas revoir Terry de sitôt, hein ?

— Terrence est mort, annonça Grégory avec toute la douceur du monde.

— C'est vrai...Terrence est mort, continua Emma, il a été tué. Il est temps, n'est-ce pas, Greg ?

— Oui, d'aller faire un tour. Tu es fatiguée, Emma. Sortons prendre l'air !

— Selon toi, quelle est la façon la plus cruelle de tuer quelqu'un ? Un jour, Terry m'a parlé d'un meurtrier, qui tuait ses victimes en leur plantant un pic à glace derrière l'oreille afin de provoquer une hémorragie cérébrale, sans anésthésie.

Gregory resta pétrifié sur place, comme si les mots de son amie avaient transformé toutes ses cellules en pierre.

— Je retrouverai Allison Mortensen, et je lui planterai un pic à glace derrière l'oreille.

— Emma...sortons, Emma, viens avec moi.

— Il est temps, n'est-ce pas, Greg ? siffla-t-elle en se retournant enfin vers lui. Allons acheter un pic à glace.

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant