CHAPITRE 27 (1)

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C'était vrai ce qu'on disait. On pouvait ressentir le poids d'un regard insistant peser sur nous. Allison, même si elle l'évitait, pouvait sentir le regard de Warren l'appuyer, l'étouffer presque. Elle avait la tête tournée vers l'autre côté de la pièce, juste dans l'objectif d'éviter de croiser les prunelles envoutantes du mec près d'elle.

Elle n'avait pas prévu que le revoir la chamboulerait autant. Et pourtant, tout en lui ricochait en elle. Son regard marin, son sourire d'ange, la masse de muscles qui saillaient sous sa robe de patient. Il était divin.

Elle sentit sa bouche s'assécher et déglutit.

— J'ai lu quelque part que la peur du regard des autres s'appelle la blemmophobie...ou quelque chose du genre.

— Quoi ? souleva Allison en se retournant enfin vers son voisin.

— Vous évitez de croiser mon regard, expliqua Warren en vissant ses yeux sur le plafond ivoirin, alors vous êtes probablement blemmophobe.

— N'importe quoi, rigola Allison, je ne suis pas blemmophobe...

— Alors, je vous intimide ?

Elle ne répondit pas. Le regard du métis dévia du plafond et revint se poser sur elle. Elle ressentit à nouveau cette vorace envie de regarder partout ailleurs, mais ne broncha pas. Personne ne l'intimidait, jamais.

Elle était Allison Mortensen.

— Et là, continua Warren, vous soutenez mon regard pour vous prouver et me prouver que je ne vous intimide pas.

— Vous ne m'intimidez pas, rétorqua-t-elle avec toute l'assurance du monde.

Non, il ne l'intimidait pas. Il lui plaisait, c'était différent. Elle n'avait pas peur de lui parler, elle n'avait juste pas envie. Non, ce dont elle rêvait était bien plus profond, beaucoup plus profond qu'une simple discussion...

Des frissons l'assaillirent face aux pensées salaces qu'elle venait d'avoir.

— Regardez-nous, releva Warren en un soupir, seuls avec personne à nos chevets. C'est pas triste, ça ?

— Ouais, soupira la blonde en pensant à Yan, assis confortablement dans la voiture. Il devait être en train de se détendre sur l'une des musiques country ringardes de sa playlist.

— Vous au moins, continua Warren, vous ne resterez pas seule longtemps. Je suis sûr que votre petit-ami ne va pas tarder à arriver.

Le grand jeu, à la Warren Eastwood !

— Je ne suis pas en couple, si c'est ça que vous voulez savoir. Mais subtile, cette façon de le demander.

Le métis s'esclaffa, laissant son regard divaguer pendant un moment sur la vue époustouflante à travers la fenêtre. Un fin brouillard commençait à s'aplanir sur Londres, et le ciel prenait une teinte de plus en plus grisante.

— Vous ne me demandez pas si je suis en couple ?

Non, je sais déjà que non, Warren.

— Ça ne m'intéresse pas de le savoir.

Sa remarque, même si elle n'était pas dite méchamment, refroidit Warren qui ne pipa plus mot. Un silence pesant emplit bientôt la pièce. Allison remarqua bien que son cochambreur avait été froissé par cette violente façon de le rabrouer, mais n'en montra rien.

De toute façon, elle n'était pas là pour flirter avec lui. Elle était là pour lui sauver la vie, avant de disparaitre pour de bon de son existence.

Bientôt, le médecin de la jeune femme entra dans la chambre. Elle aussi sembla réaliser le froid entre les deux patients. Néanmoins, elle n'en fit pas mention. D'une main, elle essaya de discipliner ses courtes mèches rousses. L'autre était recroquevillée autour d'une enveloppe contenant les résultats de la patiente.

— Madame Hanover...je suis désolée, mais il va falloir vous conduire au bloc de toute urgence.

Quoi ?

— Au bloc ? s'étonna Allison, pour de vrai cette fois.

Car elle savait qu'elle avait simulé cette douleur thoracique. Elle avait tout inventé afin de s'infiltrer dans cet hôpital. Donc elle n'avait rien ! Qu'est-ce que tout cela voulait dire ?

— Oui, vos résultats montrent un anévrisme aortique prêt à se rompre. C'est sans aucun doute l'origine de vos douleurs thoraciques. Vous avez comme une bombe dans le cœur. D'une minute à l'autre, votre aorte peut se déchirer et vous vous viderez de votre sang. Il faut effectuer d'urgence une réparation de cet anévrisme, si on veut avoir une chance de vous sauver...

***

Lorsque Yan sortit de son véhicule, il dût faire un effort magistral pour ne pas perdre pied. Ses jambes tremblaient de frayeur. Son cœur courrait un sprint à l'intérieur de son thorax. Il s'appuya contre le capot noir de sa berline, et se laissa fouiller de haut en bas. L'agent ne retrouva rien de suspect sur lui.

— No comprendo pourquoi vous me fouillez, minauda-t-il. Je suis un honnête hombre.

— Ce permis de conduire n'est pas conforme, annonça le policier en rajustant la casquette sur sa tête.

— Quoi ? s'étonna le chirurgien.

— Oui, ça m'a l'air d'être un faux.

Lorsque l'agent de l'ordre prononça ces derniers mots, Yan comprit avec effroi qu'il était réellement dans de sales draps. Il déglutit. Ses mains devinrent moites. En cet instant, il hésita entre s'enfuir ou nier jusqu'à la tombe.

Si le policier l'avait ne serait-ce que regardé à ce moment-là, il aurait compris direct. Pourtant, ce dernier était occupé à examiner le faux permis de conduire, appartenant au dénommé Estéban Dèrbez.

Nier jusqu'à la tombe.

— No es falso, jura le brun, je l'ai eu à Mexico. C'est seulement un poco diferente, senor.

— Je vais demander un deuxième avis, dicta le policier en s'emparant de son talkie-walkie.

Il vérifia auprès d'un collègue si ce dernier était dans les parages, puis l'invita à le rejoindre. Yan sentait l'étau se comprimer autour de lui. Le temps d'attente lui parut infiniment long. Au-dessus de leurs têtes, le ciel se couvrait de lourds nuages gris et le vent commençait à se lever.

Le brun resserra son gros blouson carrelé contre lui pour s'éviter de frissonner. Bien vite, ils furent tous deux rejoints par une femme. Elle était vêtue d'un gilet noir au-dessus d'une chemise blanche, tout comme son collègue. Quand elle se rapprocha, Yan crut décéder sur place. La foudre avait dû le frapper. Il en était paralysé. Il s'arrêta de respirer malgré lui. 

LES CHIRURGIENS DE DIEU tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant