Chap 97 : cicatrices

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[...]

Lenni avait réussi à remettre l'eau en route, coupée par les habitants originels de la maison, on ne pouvait bénéficier de tout ce qui touchait à l'eau. J'ai donc pu prendre une longue douche dans la salle de bains de la chambre parental. J'avais échangé quelques mots avec Ron, non ce n'est pas ta faute, non, tu n'as pas à t'en vouloir, non, c'est moi qui suis désolée, et je me suis éclipsée pour pouvoir soulager toutes (ou presque) mes douleurs physiques et mentales sous le jet d'eau chaude.
Dès que la porte était verrouillée, j'avais jeté mes vêtements sur le sol et m'étais introduit sous la cascade d'eau. Accroupie au fond de la baignoire, je laisse l'eau couler sur mes cheveux, les rendre difformes en mèches trempées qui me tombent devant les yeux. Je relève la tête en passant ma main dans cette chevelure mouillée et sale, l'eau s'attaque à mon visage, là où j'ai encore ma première cicatrice à la lèvre, la dernière chose que j'ai de mon père. Là où j'ai encore les cils emmêlés à cause d'avoir pleuré. Là où mon front porte encore la brûlure de l'accident de voiture. Là où des cernes se sont indéfiniment creusés sous mes yeux.
Lentement, patiemment, je laissais l'eau couler sur chaque partielle de mon corps, visualisant mes blessures des derniers mois s'effacer comme des traces de feutres. Mes épaules où s'étaient incrustés les tatouages infligés par les ondes, mon ventre, portant une cicatrice de la taille d'une prune à cause de la balle qui m'avait transpercée, mon dos, portant les rougeurs des tiraillements du poids de mon sac, mes avant-bras, couvèrent de trace d'aiguille, cicatrices et rougeurs.
Je coupe l'eau, reste quelques secondes encore assises dans la baignoire, sans envie d'en sortir. Je me sèche rapidement, enfile les dernières affaires de rechange propres qu'il me reste de mon sac. Je laisse mes cheveux tels quels, ils ont toujours mieux séché à l'air libre. Lorsque j'ouvre la porte, la chambre est sombre, seule une lampe de chevet du côté libre du lit projète une lumière.
De l'autre côté, un Ron allongé me tourne le dos. Je m'avance, me glisse sous la couverture à ses côtés, et d'une main légère, éteint la lampe.
Pour l'une des rares fois de ma vie, je m'endors rapidement à cause de la fatigue et de la douleur.

Un gémissement apeuré, un mouvement, non, plusieurs mouvements. Un choc assez brutal et quelque chose sur mon visage. Voilà ce qui me réveille en pleine nuit.
J'ouvre les yeux subitement, cette chose sur mon visage me gâche la vue de l'œil droit, mais se retire et tombe à côté de ma tête. Horrifiée, j'allume la lampe sur le côté du lit et me retourne pour découvrir de quoi il s'agit. Une main, la main de Ron, qui se soulève à nouveau, bat l'air en rythme avec le reste de son corps. Il s'agite comme un fou dans son sommeil, et je prends un temps pour réaliser qu'il fait un cauchemar.
Je passe une main sur mon front et relève les quelques mèches (sèches désormais) qui y pendaient. Puis je me relève et m'accroupis près de lui en le secouant doucement.

- Ron, réveille-toi.

- Beth ! S'écrit-il toujours endormit, si subitement que j'en sursaute. Il a pratiquement crié mon nom.

- Ron, je suis là, tout va bien, réveille-toi. Je le secoue plus fort et il s'agite plus fort encore. Ses lèvres forment à nouveau mon nom, plusieurs fois. Je pose mes doigts sur ses lèvres, 

Ça marche, il ouvre ses yeux apeurés, cherche mon regard, me contemple comme s'il ne m'avait pas vu depuis des lustres, puis il lève ses mains et observe ses paumes avant de soupirer de soulagement.

- hey, qu'est-ce qu'il t'arrive Ron ? Susurrais-je

- j'ai... J'ai fait un cauchemar... Répond-il comme désorienté.

- ça, j'avais remarqué ! Je souris, tu veux me raconter ?

Il se relève, regarde à nouveau ses paumes et prend un air frustré. Il commence à narrer comme un jeune enfant :

- tu sais, quand tu avais pris cette balle ? (comme si on pouvait oublier l'épisode où on s'est fait transpercer) C'est moi qui te l'avais enlevé avec comme seul anesthésiant ta perte de connaissance.

Il baisse les yeux et fronce les sourcils, plongé dans son souvenir. Il continue :

- il n'y avait rien qui pouvait m'aider dans cette maison. Pas de pinces, rien qui pouvait m'aider à retirer cette saleté de balle. J'ai dû l'enlever avec mes doigts.

Il relève la tête, me fixe droit dans les yeux tandis que j'assiste impuissante à mon opération que je m'imagine.

- j'avais ton sang sur les mains. Il regarde à nouveau ses paumes. Ce soir-là, j'aurais pu te tuer. Si un seul de mes doigts avait été trop à droite, tu serais morte, si tu avais perdu trop de sang, tu serais morte, si j'avais laissé cette balle, tu serais morte. Et j'ai failli te tuer de toutes les manières possibles cette nuit-là.

Quand il me regarde à nouveau dans les yeux, ses prunelles brillent de larmes.

- j'avais ton sang sur les mains, Beth.

Je réalise sa fragilité émotionnelle. Ron a toujours été fort, depuis les réponses, il n'est plus que traumatisme, peur et chagrin. Même, je suis certaine qu'il a toujours été comme ça, mais qu'il était seulement fort. Les réponses ont comme brisé sa barrière de force émotionnelle.

- oui, et si je suis en vie, c'est grâce à toi. Oubli ce que tu aurais pu faire, souviens-toi de ce que tu as fait. Tu m'as sauvé la vie, Ron.

Il avale sa salive, baisse les yeux et plante son regard dans le vide et commence à dire "j'avais..." Avant que je ne le coupe :

- oui, tu avais mon sang sur les mains. Regarde tes mains. Il s'exécute. Elles sont parfaitement vierges de sang.

Il prend une profonde inspiration, ferme les yeux quand il expire et rouvre les yeux avec un regard nouveau.

- je t'aime, Beth.

J'ai adoré cette phrase, il ne voulait rien dire de plus. Ce "je t'aime" n'avait aucun but de me rassurer, ou de me remercier, seulement de me dire "je t'aime". Le ton de nos voix est aussi un moyen de communication entre nous, outre le regard et le toucher.

Regard. Ses yeux scrutent les miens, l'ombre passe sur son œil bleu et le rend plus foncé. D'ici, on pourrait croire qu'ils sont de la même couleur.

Toucher. Sans m'en rendre compte, je lui avais pris une de ses mains et la tournais, paume vers le ciel. J'y dessinais avec le bout de mon doigt de petit cercle

J'interromps mon mouvement, laisse mes mains retomber sur le matelas. Puis les places autour de sa nuque et l'attire vers moi. Les bouts de nos nez se touchent, il sourit en baissant les yeux et plaque ses lèvres sur les miennes.

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La dernière.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant