Chapitre 3 - 2

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Je n'arrive toujours pas à me faire à l'idée de notre nouvelle vie. Nous connaissons Rome seulement en tant que touristes. Nous l'avons visitée deux fois, pendant deux semaines. La seconde fut plus instructive, puisque nous avons eu la bonne idée de ne pas boire une goûte d'alcool, contrairement à la précédente.

C'est parce que nous avons encore cette âme en nous que nous nous dirigeons vers la Piazza Venezia. J'ai toujours été fasciné par le monument à Victor-Emmanuel II, l'Altare della Patria. Nous retrouver au milieu des drapeaux italiens. Penser à l'Histoire. A son âge, seulement une centaine d'années alors que son architecture nous ferait penser à des millénaires.

« Tous les jours, je verrai ce monument depuis la Villa.

— Tu es en train de prendre conscience de la chance que nous avons, Eliot ».

Il sourit parce qu'il sait qu'il a raison. Appuyé sur la rambarde d'une des terrasses du monument, il ne me regarde pas, il contemple. J'ai l'image de cet homme talentueux, quelque peu cliché de l'architecte tout de même, avec sa chemise bleu ciel entrouverte sur un pantalon beige, pensif alors que derrière lui le Colisée ne se cache pas.

« Je n'ai jamais pensé que nous vivrions ailleurs qu'en France, pour être honnête avec toi. J'ai toujours cru que nous voyagerions, beaucoup, quitte à vivre quelques semaines à l'étranger. Ta fibre internationale est puissante, je l'avais tout de suite remarquée. Mais pas assez, à mon sens, pour partir.

— Je ne t'ai jamais caché mon goût pour l'Espagne pourtant. La Catalogne, l'Andalousie, les Îles Baléares...

— Tu aurais pu avoir la délicatesse de citer Madrid tout de même. Je suis né là-bas.

— Non, je te connais, tu aurais insinué que j'aimais les madrilènes ».

Son nez se tord, vexé de ne pas avoir pu mener à bien son entreprise. Après tant d'années passées ensemble, je connais tous ses travers. Et notamment sa tendance à rechercher par tous les moyens des compliments.

« Je ne sais pas si j'aurais aimé revenir en Espagne, pour être honnête, me dit-il.

— Et ce d'autant plus que mon choix se serait porté sur la côte, et non sur le cœur du pays.

— Peu importe. A partir du moment où nous nous sommes rencontrés, partir ne faisait plus sens. Plus du tout.

— Qui aurait cru que choisir un fonctionnaire allait te mener à tant de péripéties, me moquai-je.

— Ne te résume pas à un fonctionnaire. Tu es magistrat.

— Oui, je sais, magistrat financier.

— Qui a mal tourné. Je suis sûr qu'à la Cour, tout le monde est soulagé ».

Il prend sa revanche. Il n'a pas tort. Un magistrat financier qui dès ses premiers rapports appelle à la sanctuarisation des politiques culturelles, sociales, sanitaires, éducatives et de recherche, c'est pour le moins ... original. Sans doute est-ce pour cela que très rapidement mon nom a circulé dans la presse puis dans les sphères politiques pour rejoindre cette maison. Peut-être même que mes supérieurs ont appuyé ma mutation. Après tout, je dérange moins, ainsi.

Pour Les Medicis (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant