Alvaro a considérablement insisté pour être présent. Un taxi nous dépose donc devant Sciences Po. La conférence est prévue depuis quelques semaines et pourtant l'amphithéâtre s'est rempli en quelques minutes lors de la réservation en ligne. Je ne peux que m'en réjouir, étant donné que j'ai prévu d'être acide.
Mon mari a choisi mon costume. Afin de contrecarrer tous les habituels poncifs sur le sujet, c'est un costume bleu clair que j'arbore, alors que les étudiants et les enseignants restent enfermés dans des couleurs sombres, le noir, le gris anthracite, le bleu foncé. Ma chemise blanche, elle, joue parfaitement son rôle.
Les chaussures que j'ai empruntées à Alvaro sont marron, et dotées de talons en bois qui ont un effet pervers. Le son de chacun de mes pas se fait entendre par anticipation. Je suis déçu, je n'aime pas être annoncé de cette manière. Je préfère être remarqué par les mots, par les expressions, par mon visage et les messages qu'il fait passer quand je ne parle pas.
Je remonte les rangs de l'amphithéâtre dans un religieux silence, suivi de près par Alvaro qui se délecte de l'instant. J'ai quelques minutes d'avance, ce qui m'a permis d'éviter que le directeur ou tout autre représentant de l'administration ne vienne m'accueillir et envisage alors d'escorter mon entrée.
Je suis ici pour rentrer seul.
« Ne sois pas trop dur, me souffle mon mari.
— Je n'ai ni notes ni présentation, attends-toi au pire ».
Il manque de s'étouffer en riant et l'image m'amuse beaucoup. Je grimpe sur l'estrade par l'escalier latéral et quelques applaudissements se font entendre. Je n'y attache aucune importance et m'installe au pupitre dédié.
« Tout d'abord, je vous invite à profiter de ces moments privilégiés. Croyez-moi, vous ne resterez pas longtemps étudiants ».
Alvaro commence à pencher sa tête sur sa main et est faussement exaspéré. Je l'avais prévenu. Je n'ai aucune limite. J'ai une revanche à prendre. Pas sur ces étudiants, évidemment, je n'ai connu aucune des promotions. Mais sur la machine dont je suis sorti. Elle m'a formé, mais elle m'a aussi déformé.
« Méfiez-vous des discours galvanisants, ceux qui vous expliquent que le futur c'est vous, qu'il vous suffit de le saisir. C'est faux. Le futur viendra à vous, de fait, le temps passant. Mais rien n'est vraiment simple. Il y a des mécanismes, conscients et inconscients, formels et informels, dans la société, dans les organisations, dans les institutions, dans nos cerveaux. Il faut les débusquer, les comprendre, les analyser. Alors uniquement vous pourrez commencer à envisager à agir sur votre futur, sur celui de votre voisin et sur l'avenir. Avant, vous resterez bloqués, enfermés, encastrés dans des idées trop faciles. Dans des évidences. Croyez-moi, il n'y a rien de pire que les évidences. Parce qu'elles dissimulent la complexité, le chaos, l'incertitude. Il ne faut pas les cacher, il faut les approcher, les interroger, les apprivoiser ».
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Pour Les Medicis (B&B)
General FictionEliot Preston vient d'être nommé directeur de la prestigieuse Villa Medicis. Son compagnon, Alvaro, plus discret, moins explicite que lui, n'en reste pas moins son plus fidèle allié et soutien. Ensemble, ils débutent une nouvelle vie romaine, après...