Pendant une heure, j'ai repris un rythme plus normal. J'ai essayé de remplir le contrat qu'on m'avait fixé, à savoir donner la possibilité aux étudiants de comprendre le monde de la culture, puis de la Villa et enfin de la Cour des Comptes. J'ai été plus policé, plus sage, moins provoquant.
J'ai assumé mes positions sur la culture et sur la manière dont elle est financée, bien sûr. Je n'ai pas hésité à dire ce que je crois nécessaire de souligner au sujet du financement de la création, ou encore de la limite trop souvent obscure entre professionnels et amateurs. J'ai vu quelques sourires crispés du côté gauche de la salle. J'apprendrai plus tard qu'il s'agissait des clubs et associations artistiques.
« Permettez-moi d'insister. Sciences Po, comme toutes les grandes écoles, vous a beaucoup dit. Dire suffit-il ? Le discours est-il en soi un acte, une performance ? Non. Il ne suffit pas de discourir pour faire. Il faut choisir les mots justes, il faut choisir le moment. Alors, pour paraphraser une philosophe que vous avez, je l'espère, reconnue, vos mots seront une action puissante. La culture est bien plus que tout ce que l'on peut imaginer. C'est une expérience, c'est l'histoire, c'est l'œuvre humaine. Sans art, il n'y a pas d'Homme. Ne l'oubliez pas ».
Les applaudissements se font vifs, de la part des étudiants. Le corps enseignant, lui, reste plus discret. Ils ont parfaitement compris, en creux, ce que je voulais dire. Pourtant, je n'ai pas été au bout du raisonnement et n'ai pas souligné combien le formatage était important. Le temps des questions est donc venu.
« Monsieur Preston, comment devient-on directeur de la Villa Médicis ?
— Excellente remarque, j'ai omis cette partie. Vous le savez peut-être, c'est une nomination. Alors, comme toute nomination, c'est à vous de toute faire pour que l'on pense à vous. Instiller votre nom dans les esprits.
— Que pensez-vous de vos privilèges là-bas, vous qui étiez magistrat à la Cour ?
— Je pense qu'ils pourraient être retirés, assurément. Mais cela conduirait de fait à une hausse du salaire du directeur, puisqu'il faudrait assurer une rémunération capable de supporter le prix des locations autour de la Villa. Impossible pour le directeur de s'éloigner de l'institution. Mais c'est une tradition. Le directeur est là, chaque jour, chaque nuit, présent pour les artistes eux-mêmes logés au cœur de la Villa. Sans doute est-ce pour cela que la Villa dispose de ces logements.
— Quitte à en faire profiter votre mari ?
— Je ne fais pas encore chambre à part, je vous remercie. Une autre question qui ne relève pas de ma vie privée ?
— Est-ce qu'un fonctionnaire, issu des plus grandes écoles, peut critiquer le système qui l'a créé ?
— Je n'ai pas été créé par un système. J'ai été accompagné dans mon parcours par des écoles, par une administration. Si nous laissons la critique à ceux qui ne connaissent pas de l'intérieur les organisations, alors nous pouvons dès à présent mettre la clef sous la porte. La critique externe est enrichissante seulement si vous connaissez vos faiblesses et que nous ne parvenez pas à les régler. Elle est alors une inspiration. Regardons-nous dans une glace avant tout, en tant qu'individu, en tant qu'institution, en tant que société. Même si ce sera intolérable pour la majorité.
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Pour Les Medicis (B&B)
General FictionEliot Preston vient d'être nommé directeur de la prestigieuse Villa Medicis. Son compagnon, Alvaro, plus discret, moins explicite que lui, n'en reste pas moins son plus fidèle allié et soutien. Ensemble, ils débutent une nouvelle vie romaine, après...