10. Conversation d'avant l'aube

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Désolée, j'ai vraiment un souci de découpe des chapitres... Celui-ci est micro, à nouveau...

***

« C'est quand même toi qui as commencé. Chaque fois, c'est toi qui as commencé.

— Mais il ne réfléchit pas à ce...

— Sur ce point, il me semble qu'il a raison. Tu ne sais pas à quoi il réfléchit. Tu ne fais pas partie de son groupe de conspirateurs. Tu ne sais même pas depuis combien de temps ils sont sur le coup. »

Hélène croisa les bras et fit la moue. Ibsen était assis en tailleur sur son lit et l'aube pointait derrière les toits. Ils n'avaient pas dormi, mais apparemment, c'était la tradition lors du Jour de l'Envol.

La fête s'était déroulée exactement comme l'avait prévue Galaad. Une fois les puissants engagés dans le cérémonial religieux, les citadins s'étaient dispersés pour rejoindre les banquets populaires. Le jeune homme avait entraîné les deux étrangers jusqu'à la place des Hardes, non loin de l'auberge, où ils avaient retrouvé Ran, Galehaut, ainsi qu'une douzaine de parfaits inconnus, qui les avaient accueillis sans réellement se soucier d'eux. L'esplanade grouillait de convives installés sur de larges bancs, des plats rustiques et des pichets de bière s'étaient succédés sur les tables tandis qu'un orchestre improvisait des mélodies entraînantes, dans une relative indifférence, jusqu'à ce qu'une alcoolémie élevée inspire les premiers danseurs.

Au milieu d'une gigue, de manière complètement inopinée, tout le monde s'était interrompu et on avait sorti des cages de sous les tables, avant de libérer des centaines d'oiseaux dans le ciel assombri de la capitale. Les volatiles s'étaient élevés dans un tourbillon de plumes, piaillant et caquetant, avant de gagner les toits et les nuages. Une fois cet étrange rituel terminé, les Gérébrans étaient retournés à leurs agapes, comme si la scène se passait de commentaires.

Beaucoup plus tard, un cortège avait fait son apparition, mené par une dizaine de personnages grimés, tirant un cheval ailé de bois et plumes dressé sur un char. La place des Hardes s'était vidée en une seconde, les gens avaient abandonné les reliefs de leur repas, et le cortège élargi avait continué sa route. Après un second arrêt, il avait débouché sur la place des Plumes, où se dressait l'étrange tour aux oiseaux, et la fête avait repris de plus belle.

Ibsen n'avait rien bu, se contentant d'observer danseurs, musiciens et comploteurs, de participer à quelques conversations, de prendre des notes, parfois. Hélène, quant à elle, voyait le monde entier de manière un peu floue. De même, il lui semblait que leur pension voguait sur une mer agitée. Mais elle tâchait de garder la tête froide malgré ses muscles endoloris et le mouvement des murs autour d'elle. Après tout, elle n'avait bu que... oh... bah...

« Est-ce que Galaad te donne l'impression de quelqu'un qui réfléchit beaucoup ? s'exclama-t-elle.

— Je ne me permettrais pas de juger Galaad alors que je le fréquente de manière sporadique depuis un petit mois. C'est bien toi, de penser que tu peux faire le tour d'une personne aussi rapidement !

— Galaad n'est pas exactement la personne la plus complexe du monde.

— C'est un préjugé que tu as sur lui. Tu ne le connais pas, c'est ça la vérité.

— Il est insupportable. »

Ibsen leva les mains au ciel et soupira. Hélène nota le pli sur son front et devina qu'il avait besoin de dormir. Subrepticement, elle se leva. Le sol tanguait un peu, alors elle se rattrapa à une commode.

« Parle-lui. Non... Plutôt, écoute-le. Puis tu pourras dire ce que tu veux, ajouta-t-il en la voyant filer.

— Tu veux que je me joigne à la révolution ?

— Oh pitié, je n'ai jamais dit ça. Honnêtement, non ! Jamais. Quelle horreur. Nous commençons à peine à découvrir cette ville et tu voudrais y ériger des barricades ! Rien que d'y penser... Non. Mais si c'est pour t'accrocher avec lui chaque fois qu'on le croise, alors je pense qu'il vaut mieux que tu parles en connaissance de cause. On dirait deux enfants !

— Tu penses qu'il a tort, alors, quand même ?

— Non plus. Je n'en sais rien Hélène. Bon sang. »

Il eut une grimace et se massa les tempes du bout des doigts.

« Je te laisse dormir, maintenant, fit-elle, gagnant l'embrasure de la porte qui séparait la chambre du palier.

— Non. Une seconde. Je voudrais qu'on parle du général de Molwen. » dit-il, plongeant un instant son regard dans celui de la jeune femme.

Elle resta muette.

« J'aimerais autant pas, finit-elle par articuler.

— Hélène ?

— Il n'y a rien à dire. C'est le général de l'armée, c'est tout. Je suis une petite palefrenière anonyme.

— Nous sommes bien d'accord, alors.

— Complètement d'accord. »

Et elle s'esquiva.

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