129. Un foyer pour tous

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Assis sur un tabouret, dans la salle chaleureuse des Sangliers, Galaad était fébrile et fatigué, et il avait dramatiquement mal aux mollets. 

Il avait marché toute la journée, de rue en rue, de porte en porte, épuisant ses derniers prétextes de promenade pour transmettre sa bonne parole. Les pêcheurs étaient au courant. Les boulangers et les équarrisseurs aussi. Il avait passé le mot chez les tailleurs et les fileurs du quartier du Loup, lancé la rumeur parmi les marins, prévenu les négociants en denrées exotiques, averti les cantonniers, les maçons, les terrassiers, et même trouvé une entrée chez les acteurs du théâtre de la place des Pipistrelles. Il avait un relais chez les charpentiers, une piste pour les conducteurs de chariots, même une ouverture dans la caste plus hautaine des médecins. 

Tout cela était évidemment risqué. Le bruissement d'une ville qui se prépare à bouger remontait aux puissants, fatalement, et il n'y avait rien à faire. Les services secrets avaient des oreilles partout, dans chaque ruelle, dans chaque tripot, dans chaque comptoir. Mais ils ne pouvaient attraper qu'une seule information : soyez prêts. Pas de où, pas de quand, pas de comment. Juste l'imminence. 

Sans doute Alcyon de Bénétnash, avec sa culotte de velours, sur son fauteuil rembourré, se moquerait-il de cet espoir entretenu par les petites gens. Mais Galaad essayait de se donner à fond en dépit de ses doutes sans cesse plus envahissants. 

Chaque fois qu'il franchissait une porte, échangeait une poignée de main, un sourire, un regard, il était touché par les gens... Touché par la confiance qu'on lui témoignait, déjà. Malgré toute l'exaltation qu'il avait à haranguer la foule, il n'avait jamais réalisé à quel point il s'était immiscé dans le cœur des citadins. Il avait eu le feu, mais il n'avait pas pris la mesure de ce que ses mots avaient signifié, de ce qu'ils avaient embrasé chez certains : de l'espoir, des souvenirs, des projets. Un sens. Chaque nouvelle rencontre le réchauffait, car il prenait conscience de l'importance de ce combat qu'il avait finalement cru très personnel. 

En même temps, chaque nouvel échange le glaçait, car le poids de la responsabilité pesait lourd sur ses épaules, et l'angoisse de mener toute cette ferveur à la ruine lui rongeait le ventre. Mais il persévérait, et quelques rues plus loin, Galehaut en faisait de même, ainsi qu'une douzaine d'autres fidèles de leur réseau, qui se déployaient en toile dans le dédale des rues.

Au bout d'une journée de démarchage ininterrompu, les contacts les plus forts de la journée lui revenaient en vague, et il se sentait épuisé, physiquement, mentalement, émotionnellement. Le plus déstabilisant était toujours la réaction des gens lorsqu'ils réalisaient qu'il n'était pas mort, contrairement à ce que les puissants avaient tenté de leur faire croire. Galaad était fasciné par le pouvoir de sa résurrection providentielle : il devenait instantanément le fils chéri des vieillards, le frère et l'ami des hommes, l'amant imaginaire des dames. Des bras le serraient, des mains se posaient sur son épaule, il avait eu droit à des embrassades spontanées, à des larmes embarrassantes, et plus d'un cœur était venu battre contre sa poitrine dans des manifestations de joie sincère qu'il n'aurait jamais crues possibles. Il était ébranlé, certainement. Il se sentait minuscule, aussi. 

Ereinté.

Bien sûr, les Bénétnashiens pouvaient déporter tout le monde, demain, ce soir même, c'était le risque de la rumeur. Il fallait persévérer et ne rien craindre, ne rien penser, avancer, simplement.

A la fenêtre, Hélène s'ennuyait. La pluie froide qui tombait sur la cité dessinait des arabesques sur les vitres, grisant la vue sur la cour, déjà envahie par les premières ombres de la nuit. 

On l'avait prévenue que les services secrets gérébrans recherchaient une brune dans son genre et elle avait haussé les sourcils, comme si la nouvelle ne la surprenait qu'à moitié. Résultat des courses, elle était consignée à l'intérieur. Pour une fois, Galaad sentait qu'elle aurait participé à leur mission de dissémination avec énergie, mais c'était trop risqué. Elle rongeait son frein, contrairement à Ran, qui traînait les pieds, grommelant, la plupart du temps. Elle avait refusé de prendre part à leurs tournées, et en dépit de leur réconciliation, Galaad la sentait de plus en plus hostile et tendue, bien qu'elle essayât de le cacher en sa présence. Il n'y avait rien à y faire non plus. Les choses iraient mieux quand tout serait terminé.

FissuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant