36. Retour providentiel

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A la nuit, Fend-le-Risque permit au petit équipage de franchir les portes de la capitale sans être inquiété. Les gardes les regardèrent passer comme s'ils étaient des feuilles mortes emportées par le vent, d'un côté à l'autre de la muraille. Ils trottèrent dans les rues désertées de Gérébra, traversant les bancs de brume sans frémir, et aucun des groupes patibulaires qu'ils croisèrent sur la route ne leur accorda le moindre regard. Parce qu'ils ne les cherchaient pas, ils ne pouvaient les voir, avait dit Ibsen. Un tel subterfuge ne fonctionnerait donc pas avec le sorcier bleu... Pourtant, Hélène avait le sentiment qu'il aurait pu réapparaître mille fois déjà, et pour l'heure, il était invisible. Ce n'était qu'une maigre consolation, mais c'en était une. Les Crevasses étaient bien fermées.

Les deux voyageurs refirent le chemin qu'ils avaient empruntés moins d'un mois plus tôt, et se glissèrent sous l'arche qui protégeait la cour des Sangliers de l'Automne. Ils savaient que leur présence n'y était qu'à moitié appréciée, mais ils n'avaient nulle part d'autre où aller, surtout à une heure aussi tardive. Et Galaad avait dit à Hélène qu'ils étaient les bienvenus. Lorsqu'ils poussèrent la porte grinçante de l'auberge, transis de froid dans la nuit automnale, ils trouvèrent Ran et Galehaut attablés dans la grande salle, la mine grave.

« Ibsen ! s'exclama Ran, une brusque expression de soulagement sur les traits.

— Quelle aubaine... » ajouta Galehaut en se levant.

En quelques mots, les citadins leur expliquèrent les événements tragiques de l'avant-veille : le discours, les dragons, la chute et la blessure.

« Il reprend conscience épisodiquement, mais la plaie est mauvaise. J'ai peur qu'il ne gangrène, termina Galehaut. J'ai pensé que tu pourrais sans doute venir voir, Ibsen. Peut-être que tu as quelque chose pour... cicatriser ou purifier... »

Ibsen les regarda avec le plus grand sérieux.

« Oui, j'ai ça. Je vais chercher mes affaires, commença-t-il.

— J'y vais ! s'exclama Hélène et elle courut au dehors.

— Et il me faudra de l'eau chaude. » ajouta le jeune homme.

Ran s'effaça vers la cuisine.

« C'est une chance que tu sois là. Vraiment. J'étais en train de me demander si j'allais oser appeler un médecin, dit Galehaut avec une grimace.

— Vous n'en avez pas parmi vos partisans.

— Juste quelques rebouteux. Nous ne sommes pas tellement populaires auprès des notables, à vrai dire. Tous les Gérébrans ne souffrent pas de la situation actuelle.

— J'imagine bien. »

Hélène courut jusqu'à la carriole qu'ils avaient abandonnée sous le hêtre, en proie à des émotions violentes. Ainsi le général de Molwen avait préféré la manière forte au dialogue, contrairement à ce qu'il avait promis. Fourrageant à l'arrière de leur véhicule, sous le regard curieux du Ténébreux, elle se sentit brusquement triste. Pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi n'avait-il pas attendu... attendu que Galaad accepte ? Pourquoi ne l'avait-il pas attendue, elle ? Elle finit par dénicher la besace de son ami, et fila vers l'intérieur.

Les deux hommes étaient encore debout devant la porte de la cuisine, et Hélène fut frappée par leurs différences, la force tranquille qui émanait de Galehaut, la fragilité fébrile qui transpirait d'Ibsen. Ran brisa leur face-à-face en réapparaissant avec sa marmite fumante.

« Bien, allons-y. » dit Galehaut.

Ibsen lui emboîta le pas, les yeux déjà dans ses herbes sèches, tandis que Ran suivait, l'eau chaude dans les mains. Hélène fit mine de s'engager à son tour dans l'escalier, mais la tenancière des Sangliers fit volte-face.

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