Les Sangliers de l'Automne (partie 2)

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Et ils entrèrent. Bien évidemment, la salle n'avait pas changé, et à nouveau, tous les clients se tournèrent vers eux. Hélène fut surprise de voir des sourires bourgeonner sur les visages patibulaires, et Galaad échangea un signe avec l'un ou l'autre, avant de se diriger d'un pas assuré vers le comptoir où Ibsen était en grande discussion avec l'aubergiste et un autre homme, plus grand, et à la mine revêche.

« Ran, ma belle, un verre et une bonne chambre pour mon amie Hélène ! » s'exclama Galaad en s'adjugeant un tabouret.

Ibsen tourna une mine interloquée vers sa compagne et celle-ci ne put qu'hausser les épaules. La brune demoiselle accoudée à son bar fronça les sourcils.

« Gal, tu es sûr ?

— Je suis certain. Est-ce qu'il m'arrive de me tromper ?

— Je dirais que oui. » intervint le nouveau venu.

Il était aussi grand que Galaad était petit. La mâchoire carrée, les sourcils broussailleux, les yeux noirs, Hélène n'aurait pas aimé le croiser dans une impasse en pleine nuit. Ses mains gigantesques reposaient sur le bois usé du bar et elle songea qu'il aurait sans doute pu tordre le cou à un bœuf sans transpirer.

« Je voulais dire de me tromper sur les gens, Galehaut, dit Galaad en grimaçant.

— La dernière s'appelait Amaranthe d'Armandor, si je me souviens bien... fit la dénommée Ran, avec un sourire contraint.

— Tu vas me poursuivre avec ça toute ma vie, hein ? s'offusqua le petit homme.

— Amaranthe d'Eburon, corrigea Galehaut.

— Amaranthe d'Eburon, répéta Ran, sans se départir de son sourire.

— Bon, donc... Hélène, ici, m'a sauvé la mise avec la milice. Ça me suffit, à moi. »

Ran dévisagea Hélène. Cette dernière lut une immense suspicion dans le regard sombre de la citadine, comme si elle tentait de percer son âme à jour. Hélène frémit sans pouvoir s'en empêcher.

« Et tu voyages avec l'herboriste, ici, dit alors l'aubergiste.

— L'herbo... Ibsen, oui ! Je voyage avec Ibsen.

— Pourquoi êtes-vous en ville, déjà ? demanda Ran.

— Je vous l'ai déjà... commença Ibsen.

— Justement, je veux l'entendre de sa bouche à elle. » dit la tenancière, un poing sur la hanche.

Galaad attrapa une chope de bière qui venait d'apparaître devant lui. Ran parvenait à tenir une conversation sans arrêter pour autant de servir sa clientèle, ou son patron, en l'occurrence.

« C'est vraiment très accueillant, comme manière de faire, je veux dire... Interroger les gens, comme ça, dit-il à mi-voix.

— Oh, puis j'en ai assez ! Fais comme bon te semble, s'exclama Ran et elle partit à l'autre extrémité du comptoir, servir deux soiffards qui s'esclaffaient dans leur ébriété.

— Qu'est-ce que j'ai fait ? » demanda Galaad.

Galehaut soupira.

« Tu es dur avec les gens qui te veulent du bien, Gal.

— Je faisais juste remarquer...

— Je sais. Ça n'a pas d'importance.

— Si on dérange, on peut partir. » dit alors Ibsen, qui semblait déjà prêt à rallier la porte au pas de course.

Hélène s'était raccrochée à son bras et se sentait extrêmement mal à l'aise. D'autant plus que la salle entière n'avait pas perdu un mot de leurs échanges.

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