14. De la musique et du fracas

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« Elle est jolie ?

— Oh, c'est bon, hein. Je crois, oui. Je n'en sais rien. Ça dépend avec qui tu compares... La reine ? Ou le général Vaõ ? Ce n'est en tout cas pas le même genre. »

Crottée de la tête aux pieds, Hélène essayait de frotter la boue qu'elle avait encore sur le visage. En face d'elle, Ibsen compulsait un parchemin à moitié effacé, les yeux plissés. La salle des Sangliers était bondée pour le repas du soir et le brouhaha ambiant noyait leurs paroles. Ils avaient décidé, pour une fois, de s'offrir un dîner à l'extérieur.

« Je suis un homme éclectique.

— Ne fais pas le connaisseur ! A ce que je sais, il n'y a eu que la petite blonde de la source.

— Elle avait un nom, cette fille, tu sais... que tu as volontairement décidé d'oublier.

— Il faut dire que tu ne me l'as même pas présentée, je te signale. »

Ran déposa deux assiettes devant eux, interrompant le pugilat. Hélène croisa les bras en prenant un air vexé alors qu'Ibsen levait les yeux au ciel.

« De quoi parlez-vous, vous deux ? » s'exclama l'aubergiste, contemplant leurs mines outrées avec un petit sourire.

Hélène se tourna vers elle.

« Ran. Est-ce que tu connais Cymbeline, une musicienne du palais ?

— Oui, je vois bien de qui il s'agit.

— Ibsen veut savoir si elle est jolie.

Le jeune homme les dévisagea toutes les deux en haussant les épaules.

« Ben quoi, c'est une question légitime ! se défendit-il.

— Je crois qu'on peut dire ça. C'est une beauté un peu fragile, cependant... Comme ces premières fleurs qui sortent au printemps, fit Ran, pensive.

— Voilà quelqu'un qui me comprend. Merci.

— A ton service. Mais sache quand même que son coeur est pris. »

Hélène eut un grand sourire narquois.

« Je ne demandais pas ça pour ça, répartit Ibsen, sans se laisser démonter.

— Alors tout va bien. » fit Ran.

Elle les abandonna à leur table, rattrapée par ses nombreux clients.

« Bon, bref. Une relation purement musicale, donc. Mais elle n'a pas dit qu'elle voulait me rencontrer, si ?

— Non. Nous avons été interrompues, je t'ai dit ça. »

— Oui, par le général de Molwen. »

Il eut un sourire un peu trop large.

« Tu crois qu'il est déjà temps d'écrire des chansons sur toi ?

— Crétin. »

***

La porte s'ouvrit avec un grincement brusque et comme une meute de loups, Galaad et sa garde rapprochée firent une apparition remarquée. Le jeune homme bouillait de colère, apparente au vu des réactions qu'il surprit sur les visages d'Hélène et Ibsen qui se trouvaient par hasard dans la salle. Sur son bras, la main de Galehaut qui tentait de le calmer avait l'effet inverse. Galaad brûlait de casser quelque chose, de frapper un mur, de hurler sans doute aussi. Il y avait des témoins ? Tant pis ! Qu'ils sachent seulement ce qu'il pensait vraiment de ce ramassis de crapules qui campaient derrière leurs murs de marbre ! Il croisa le regard de Ran qui reflétait une certaine angoisse, angoisse de ce qu'il allait faire ou dire, d'un esclandre obligatoire, entre ces murs qui leur servaient de repaire, à l'abri, du moins l'espéraient-ils, des oreilles des puissants. A moins que... A moins qu'aujourd'hui, justement, un intrus se fut glissé dans la tanière, à l'affût de toute information, prêt à révéler à la milice où se terraient les agitateurs, à briser des rêves qui n'avaient pas encore pris forme.

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