147. Tout est bien qui finit bien

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Dans la salle du trône de la citadelle gérébranne, les différents artisans de la victoire s'étaient rassemblés peu à peu, chacun s'extirpant de sa ligne, mettant pied à terre ou rangeant son arme, épuisé et ravi. Une si belle journée. Un si beau soleil.

Assise sur l'appui de fenêtre, aspirant déjà à l'ombre de la grande forêt, Iphigénie observait tranquillement chacun des individus présents, un léger sourire aux lèvres. Jusqu'ici, ils s'étaient à peine parlé, avaient juste souri, échangé des gestes ou des monosyllabes, fatigués. Ils attendaient le retour du héros du jour, qui se faisait désirer.

Jack était encore surexcité, manifestement un peu déçu de la vitesse à laquelle les Bénétnashiens avaient capitulé, une fois que la nouvelle de la capture de leur chef s'était répandue dans les rues de la cité. Il s'était battu comme un beau diable, mais il n'en avait jamais assez. Son sourire radieux était presque une insulte aux morts.

A sa gauche, les mains sur les hanches, impatient et curieux, Galaad scrutait chaque recoin de la salle. C'était apparemment la première fois qu'il mettait les pieds dans un tel endroit, et son regard était avide de découvrir. Son visage très mobile reflétait tantôt un sourire, tantôt une intense concentration. On pouvait réellement lire chaque émotion qui s'y succédait sans difficultés, car il s'exposait sans crainte. Une belle balafre courait néanmoins sur sa joue gauche, une marque qu'il conserverait à tout jamais. Jack avait été très poli avec lui, lui serrant amicalement la main, et n'avait même pas lâché de petit commentaire désobligeant. La mine de Galaad avait renseigné Iphigénie sur le caractère exceptionnel de cette déférence et le jeune citadin semblait avoir apprécié ce nouveau respect. Ils ne s'étaient cependant rien dit.

Près de Galaad, Tara Vaõ, raide comme un piquet, avait aussi le sourire. La voir réjouie avait quelque chose de reposant, cela l'humanisait, et Iphigénie se demandait quelle histoire se cachait derrière son sérieux coutumier. C'était une grande guerrière taciturne et elle n'avait pas pipé mot depuis son apparition, la cape déchirée, le visage froncé, mais indemne, une dizaine de minutes plus tôt.

Restant à l'écart, tournant en rond avec un air passablement ennuyé, le chef espion gérébran, Mikah Sandar, semblait peu désireux de se mêler aux combattants. Il était entré, flegmatique, et personne n'avait songé à le mettre dehors. Tara l'avait dévisagé avec suspicion et il avait souri, simplement, la gratifiant d'une légère courbette. Son costume blanc était marbré d'hémoglobine et bien que sa veste soit déchirée à la hauteur de l'épaule gauche, il n'avait pas l'air blessé, tout juste fatigué. Qui ne l'était pas ? Néanmoins, Jack n'avait pas lâché le manche de sa rapière depuis qu'il était entré et bien que pavoisant, incapable de réprimer un rictus de satisfaction totale, il gardait un œil sur l'intrus, Iphigénie le sentait prêt à passer à l'action au besoin. Mais comme ils l'avaient tous espéré, Mikah semblait avoir oeuvré pour leur victoire, depuis les eaux troubles dont il était coutumier.

Elle même était lasse d'avoir tiré trop de flèches et tué trop d'ennemis. D'avoir vu tant de Trenans à terre aussi, des hommes et des femmes qu'elle connaissait, tous. Elle avait voulu organiser les secours, mais Jack l'avait arrachée à la rue pour la traîner vers le palais, tandis que d'autres prenaient la relève. Elle avait rechigné, s'arc-boutant comme un cheval rétif, mais le bandit n'avait rien voulu entendre et elle avait fini par capituler, maugréant dans son ombre. Il avait ri. Oh, Jack allait lui manquer.

La tirant de ses pensées, la porte s'ouvrit sur Dimitri et Rodrigue, côte à côte, et plus dissemblables que jamais. Le général avait la mine fatiguée, les yeux cernés, et Iphigénie devinait la tension dans ses épaules et dans ses traits. L'amiral était radieux et distribuait sa bonne humeur à tout le monde, généreux, malgré un bras en écharpe. Le contraste était presque drôle. Iphigénie se redressa, quittant son observatoire, et reprit sa place dans le cercle des vainqueurs. Mais quand Rodrigue aperçut Mikah, son expression s'altéra et il fit mine de se porter à sa rencontre, sa main valide déjà posée sur le manche de son épée. Cependant, Dimitri le retint en lui agrippant le coude et le guida d'autorité vers les autres.

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