16. La charge (partie 2)

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La charge ne reparut qu'une demi-heure plus tard, hommes et chevaux épuisés, perclus, écumant, disparaissant sous une épaisse couche de boue. Seul Harfang semblait se jouer des éléments et il fusa au petit galop jusqu'à Hélène, qui attendait toujours au même endroit, à l'abri relatif d'un chêne bientôt chauve. Repassant au pas, le destrier se réfugia sous l'arbre et le général démonta lestement. Le petit cheval en profita pour s'ébrouer sans cérémonie, gratifiant Hélène d'une moucheture brune dont elle se serait bien passée. Le général retira son heaume et la jeune femme se sentit immédiatement l'objet de son regard. Pourtant, à nouveau, elle n'eut pu dire pourquoi.

« Vous avez ma cape. » dit-il finalement.

Hélène vira au pivoine et retira précipitamment le manteau qu'elle lui tendit. Il y a des jours, vraiment, où elle se demandait où elle glissait sa cervelle.

« Je suis... vraiment désolée. »

Le général ne dit rien et jeta le manteau sur son épaule.

« Je vous laisse Harfang. Je dois aller m'entretenir avec mes officiers.

— Bien sûr, mon général, murmura-t-elle, confuse, en s'inclinant.

— Personne ne s'incline devant moi, Hélène. » fit-il alors.

Elle se redressa, piquée au vif.

« Je suis...

— Et ne soyez pas sans cesse désolée. »

Il ébouriffa les crins de son cheval et le gratifia d'une claque amicale sur l'encolure, puis s'éloigna dans les sous-bois, en direction d'un petit groupe qui s'était rassemblé à quelques dizaines de pas de l'orée. Hélène s'appuya sur Harfang qui la laissa faire.

« Peut-on être plus couillonne que ça... » grommela la jeune femme.

Harfang avait besoin d'être bouchonné, et Hélène fureta dans sa musette à la recherche de la paille qu'elle avait emportée à cet effet. Elle se mit ensuite au travail, frottant le poil trempé en cercles rapprochés, histoire d'éviter tout refroidissement à son fringant compagnon. Le petit cheval en profita pour brouter sagement l'herbe appétissante qui poussait entre ses sabots. Mais la pluie redoubla à nouveau, perçant la ramure brunie du chêne, et Hélène entraîna le destrier dans le sous-bois, à l'abri. Une fois qu'elle eut terminé de le sécher, elle se pencha pour vérifier les sabots et en déloger d'éventuels cailloux. Soudain, alors qu'elle reposait le dernier postérieur, elle entendit des branches craquer sur le passage de quelqu'un. Les pas s'interrompirent ensuite, et des voix s'élevèrent, à quelques mètres seulement.

« Ordonner à la milice de charger... Où Laerte a-t-il la tête ? disait le général de Molwen.

— Ils n'avaient pas le choix. L'Etoilée était en feu. Il fallait disperser le rassemblement. » répondit la voix grave du général Tara Vaõ.

Aucun des deux officiers ne semblait avoir remarqué la présence d'Hélène mais il était encore temps pour elle de se manifester pour couper court à leur conversation. Pourtant, elle s'accroupit dans l'ombre du cheval, immobile.

« C'était un ordre stupide. Il n'y a rien à ajouter. Vous avez tous l'air de penser que l'agitation en ville n'est qu'un petit remous à dissiper du revers de la main, mais vous vous trompez. Cet orateur, le Lièvre Sombre, n'est pas n'importe qui.

— On peut facilement envoyer les hommes de Mikah s'en débarrasser, gronda Tara.

— Il n'en est pas question. Je ne fais pas assassiner des citoyens.

— Sauf ton respect, ces principes rigides n'aident en rien à la stabilité du royaume, lâcha-t-elle.

— Sauf ton respect, je décide de ça. Tu vois les choses hors contexte. La ville n'a pas besoin d'un martyr. Surtout pas maintenant. Il a suffisamment de soutien pour que tout nous explose entre les doigts si nous le supprimons. Et ce genre d'homme n'est jamais seul. Il n'est probablement que leur porte-parole. »

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