76. Mission critique

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Hélène sortit à nouveau soulager ses intestins malades, s'appuyant au tronc du hêtre, gardant un contact avec la réalité au travers de cette écorce rugueuse sous ses doigts transis. Relevant la tête, en proie à un vertige, elle vit soudain un mouvement à la limite de son champ de vision. Puis l'image se précisa et un petit sansouci apparut sur la neige, sautillant dans sa direction. Hélène se raidit.

« Va ailleurs, toi... » grommela-t-elle, en s'essuyant la bouche.

Mais l'oiseau s'approcha encore.

« Je ne t'ai pas vue, va t'en... » fit-elle en lui lançant un peu de neige.

Loin de s'en formaliser, le sansouci s'envola et vint se poser sur son épaule.

« Rosa, je ne te connais pas... » marmonna Hélène, barbouillée.

Rosa croassa en se rengorgeant. La jeune femme poussa un soupir misérable.

« Je parie que tu viens juste me rendre une petite visite... Que tu n'as en fait aucun message pour moi... » ajouta Hélène en la faisant passer sur son poing et détachant le petit morceau de parchemin que l'oiselle transportait bien évidemment.

Je ne suis pas obligée de le lire, songea-t-elle à nouveau.

« Venez me rejoindre sur les remparts qui surplombent la porte Est dès que possible. Prenez de quoi voyager, un cheval, et prévenez vos amis que vous allez être absente. Je vous envoie au front, je pense que le général a un urgent besoin de votre présence. »

Elle écarquilla les yeux de surprise devant le message. Comment se permettait-il de lui donner de tels... ordres ? Des pas craquèrent dans la neige, juste dans son dos, et elle ne bougea pas. Ibsen se pencha par-dessus son épaule et lut, sans rien dire, l'encerclant de ses bras.

« Je ne sais pas... commença-t-elle.

— Curieusement, je m'en doutais. C'était trop beau pour être vrai, fit-il, doucement.

— Je ne dois pas...

— Tu cherchais une excuse pour le rejoindre et elle te tombe dans les mains, sur les ailes d'un sansouci.

— Je ne...

— Sais-tu que Snowvern le sansouci était le plus fidèle compagnon d'Al Feratz ? Ce sont des oiseaux porteurs de mort mais chargés de mystère... On prétend que l'avenir est écrit dans leur vol. »

Hélène tourna la tête et regarda son ami droit dans les yeux. Elle y lut son trouble, puis une simple résignation.

« Je crois que je dois... commença-t-elle. Je dois y aller, Ibsen, tu sais ? Je crois qu'il peut... avoir besoin de moi. »

Il acquiesça en serrant les lèvres.

« Et toi, de quoi as-tu besoin ? » demanda-t-il, d'une voix maîtrisée.

Elle sourit doucement, incrédule, mais il ne détourna pas le regard. Elle n'aurait pu dire ce qui se passait dans sa tête, derrière ses yeux verts, son front pâle, cette petite veine mauve qui lui barrait la tempe droite, apparente.

« De ton cheval. De ta confiance, aussi, surtout, osa-t-elle, finalement.

— Je te les donne, alors. »

Elle lui fit face et ils s'étreignirent avec force.

« Merci de comprendre.

— Je ne suis pas sûr de comprendre. Mais j'essaie.

— J'apprécie. » fit-elle.

Relevant la tête, elle contempla la façade des Sangliers, figée sous le gel, décorée de givre et de stalactites.

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