53. Sans reproches

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Micro chapitre à nouveau... Petite respiration avant d'autres fracas.

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Quelques heures plus tard, le général de Molwen, son écuyer et dix chevaliers repartaient vers Gérébra, abandonnant le campement derrière eux, aux ordres du général Vaõ. Le général et sa subordonnée avaient eu une longue réunion, mais Hélène ne savait pas ce qu'il s'y était dit. Sans doute pas grand chose la concernant. Quand il était revenu, il l'avait envoyée préparer Harfang et le Ténébreux, qu'elle avait trouvés côte à côte dans la neige. 

Au moment du départ, il lui avait demandé si elle était d'accord de monter le poney pie et de lui prêter l'étalon noir pour la route du retour. Elle se demanda si cela faisait partie de l'arrangement qu'il avait trouvé pour lui permettre de récupérer son cheval. Elle accepta et ils cheminèrent donc dans la campagne enneigée, trois chevaliers ouvrant la marche, trois la fermant, et les autres encadrant le général et la jeune femme. Hélène devait reconnaître que le général avait fière allure sur Le Ténébreux et comprenait un peu mieux les personnes qui espéraient qu'il change de cheval. Harfang était somme toute une petite créature hirsute un peu démente, rien de très glorieux. 

Ils dépassèrent le bourg d'Aryth sans s'y arrêter, trottant sur la route gelée qui contournait l'enceinte grisâtre de la garnison, alors que la neige tombait à nouveau, drue, sur les capuchons de leurs manteaux. Une fois sous le couvert des arbres de Shallow, Dimitri envoya ses chevaliers dans les sous-bois, ne conservant que deux hommes devant et deux hommes derrière. Ils passèrent au pas pour laisser souffler leurs montures. Le général ralentit l'allure jusqu'à se retrouver côte à côte avec la jeune femme. Ils avancèrent ainsi en silence pendant de longues minutes. Hélène lui jetait de temps en temps un coup d'oeil furtif, mais il regardait droit devant lui, impassible. Le Ténébreux semblait parfaitement satisfait sous la selle, les oreilles pointées, le souffle laiteux dans l'air glacé.

« D'où venez-vous, Hélène ? » demanda finalement le général, rompant le silence.

Hélène resta un instant interdite, surprise par la question.

« A vrai dire, je ne sais pas vraiment... Nous appelions notre village le Havre. Il se trouvait à l'est, au pied des montagnes, dans une petite forêt... dont je ne connais pas le nom. Sur la Laxà, je crois. »

Il fronça les sourcils.

« La ville la plus proche ?

— Oh... Heu... Valden ? Volden ? Quelque chose comme ça, fit Hélène.

—Vialden... Oui. Presqu'en territoire kuarronte. Je vois vaguement, je n'y suis allé que deux fois. »

Il se tut à nouveau, les lèvres pincées, comme s'il cherchait ses mots.

« Hélène, je ne sais pas comment les choses se passaient dans votre village. Mais vous avez migré jusqu'à Gérébra, et vous devez vous adapter aux coutumes locales, désormais. Il en va de votre survie. De la possibilité que j'ai de vous garder à mes côtés. Votre travail m'est précieux mais je devrai me passer de vos services si vous ne parvenez pas à respecter un semblant de hiérarchie. Il ne s'agit pas de hiérarchie sociale, la question n'est pas de savoir qui est plus noble que qui, et de quelle couleur est votre sang, c'est un autre problème, mais de simple hiérarchie militaire. Vous ne pouvez pas vous opposer, publiquement, à un chevalier ou un général, leurs décisions priment sur les vôtres, c'est une règle de base et vous devez, toujours, vous y plier.

— C'était mon cheval.

— Je sais, ça ne change rien. Si vous êtes frappée par l'injustice de certaines décisions, si vous avez l'impression qu'on vous brime, venez m'en parler, et j'agirai en fonction de mes possibilités, et de la justesse de vos récriminations, en dehors de ça... Apprenez à plier. »

Elle se renfrogna.

« Même si ce n'est pas dans vos habitudes, ajouta-t-il avec le sourire.

— C'était mon cheval, grommela-t-elle encore.

— En temps de guerre, qu'un chevalier désarçonné réquisitionne un cheval de qualité n'est pas une action surprenante ou répréhensible.

— Il aurait pu se faire tuer ! s'exclama-t-elle.

— Moi aussi. » rétorqua le général.

La répartie laissa Hélène muette de surprise et le général lui-même parut embarrassé.

« Ce que je voulais dire... C'est qu'en temps de guerre, nous devons tous consentir à des sacrifices qui nous coûtent. C'est la marche d'un monde qui souffre, c'est ainsi.

— Je suis désolée, je ne... Je n'ai jamais... imaginé, même... la guerre. Tous vos écuyers, vos chevaliers, sont depuis le plus jeune âge, élevés dans cette idée... Moi je n'en connais rien. Je ne voulais pas suggérer que la vie de mon cheval est plus importante que le combat que vous menez. »

Il acquiesça, subitement songeur.

« Je ne vous reproche rien, Hélène. C'est moi qui vous entraîne dans cet univers imprévu. Je sais que ce n'est pas le vôtre.

— Je ne vous reproche rien non plus. » fit-elle.

Il la dévisagea et hocha la tête.

« Je ne me le pardonnerais pas. » répondit-il, puis il prit le trot pour rejoindre l'avant-garde.

Un peu interdite, Hélène resta au pas, respectant le désir subi qu'il avait eu de remettre de la distance entre eux. La conversation semblait avoir effleuré un sujet difficile, peut-être était-ce l'évocation de la guerre et du rôle qu'il aurait à y jouer.

Ils s'arrêtèrent peu après pour bivouaquer dans le sous-bois, entravant leurs montures pour la nuit. Les chevaliers se relayèrent pour scruter la forêt, toujours vigilants, tandis qu'Hélène dormait, curieusement tranquille, contre le flanc du petit destrier pie. Leur groupe était pour le moins restreint et une attaque de bandits, voire des Trenans, était un risque permanent. Hélène avait du mal à croire que les renégats puissent décider subitement d'attaquer le convoi du général de Molwen, mais elle devait bien avouer que Dimitri aurait constitué un otage appréciable pour ceux que l'on recherchait au creux des grands arbres.

Ils repartirent tôt le lendemain et conservèrent une allure tranquille pour ménager leurs montures, éprouvées par les assauts des jours précédents. Le général et Hélène n'échangèrent plus que des banalités fonctionnelles, ce que regretta la jeune fille, même si elle pouvait imaginer que l'officier avait des soucis bien plus pressants que de lui faire la conversation. Immanquablement, elle songea à Ibsen et Galaad, aux retrouvailles obligatoires... Ou peut-être impossibles. Ils débouchèrent dans la vallée qui abritait Gérébra alors que la nuit commençait à tomber et cheminèrent vers les faibles lueurs de la cité. Hélène sentit son coeur se serrer à la vue des remparts constellés de torches. Finalement, pourquoi rentrer ? Retrouver des gens qu'elle avait abandonnés pour partir au front ? Elle resserra son manteau autour de ses épaules, et suivit le groupe qui s'était reformé. Ils s'engouffrèrent dans la cité dans l'espoir d'y trouver un peu de chaleur.

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