134. Les ombres de la lumière

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La nuit était glacée et la brume gérébranne s'enroulait en volutes inertes sur le sol glissant. L'entrepôt semblait silencieux, mais des lueurs aux fenêtres indiquaient qu'il était occupé. En s'approchant du portail, les éclaireurs bénétnashiens avaient pu deviner les conversations qui s'y échangeaient, un doux brouhaha incompréhensible, signe immanquable d'une activité. Qu'il n'y ait pas de sentinelles les avait fait sourire : même sous siège, les Gérébrans restaient des amateurs.

L'officier en charge de l'intervention, le lieutenant Jorden Elem, avait fait encercler le bâtiment. Ils l'avaient repéré plus tôt dans la journée, suite aux révélations du maître espion, envoyant quelques hommes discrets en compter les issues, fenêtres et portes. Ils avaient ensuite discuté les plans, et chacun savait désormais où se poster.

Ils tablaient sur un rassemblement de cinq cents à mille personnes et étaient cent cinquante, armés et entraînés. Les Gérébrans n'avaient aucune chance. Ils seraient pris comme des rats, comme tant d'autres avant eux.

Mais le laxisme touchait à sa fin. Dès le lendemain, ils commenceraient à organiser la déportation en masse des habitants. Gargouille avait, comme toujours, besoin de main d'œuvre pour les mines, et on avait récemment dépeuplé certains territoires conquis dans l'ouest de l'empire. Il y avait toujours de l'espace pour ceux qu'on emmenait. Il était souvent plus difficile de trouver des gens pour les remplacer, ce qui avait donné naissance à quelques villes mortes, par ci par là, vidées de leur population, puis pillées et abandonnées au temps. Cela n'arriverait pas à Gérébra, dont la position stratégique était enviable, mais il y avait de fortes chances que Saffron ou Murmay subissent ce genre de sort.

Il faisait horriblement sombre et horriblement froid. Elem se frotta les mains l'une contre l'autre.

A dire vrai, il en avait complètement marre de ces interventions nocturnes. Elles devenaient routinières et il avait envie de passer une bonne nuit, rien qu'une fois, avant de retourner vers le nord. On lui avait vanté la bière locale mais il n'avait pas pu la tester, sans cesse accaparé par les obligations militaires. Pas qu'il se soit réellement attendu à autre chose. Il espérait que sa diligence et leur efficacité coutumière lui vaudrait un bel avancement. Une augmentation de sa paie ne serait pas de trop pour entamer les réparations de la petite ferme familiale qu'il avait rachetée à son frère au printemps précédent.

Il dégaina lentement son épée.

A sa gauche, son second lui fit signe qu'ils étaient en position. Sur la droite, un groupe était massé devant la porte de service. Il fallait investir l'entrepôt avec force, jouant du nombre pour assommer les premières velléités de résistance.

Il bâilla dans son poing, leva son arme, et donna le signal.

***

Galaad parlait pour introduire Dimitri, bien sûr. Les gens devant lui attendaient qu'il leur expose comment renverser l'envahisseur et ils n'y voyaient rien. Juste les mêmes mots : changer les choses. Ils le savaient déjà. Pourtant, Hélène se laissait gagner par le rythme de ses inflexions, la force de sa voix, l'émotion qu'il y mettait. C'était un mauvais comédien, tellement mauvais. Mais il y croyait tellement fort que sa vitalité était communicative. Et en dépit du froid, la jeune femme se sentait exaltée, observant cette transfiguration, alors que Galaad sublimait publiquement son angoisse, soutenu par tous ces regards, tous ces espoirs.

Elle ferma les yeux.

Les mots lui parvenaient, confus, mais elle se fichait de ce qu'il disait. C'était leur musique qui parlait directement au cœur. Hélène se dit que si elle en avait eu la latitude, elle l'aurait suivi jusqu'au bout du monde.

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