93. Ferments d'une riposte

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Dans l'antichambre de la reine, l'air était électrique. Pourtant, Alcyon de Bénétnash était d'un calme souverain. Assis dans un fauteuil, les jambes croisées, il regardait paresseusement par la fenêtre. Très soigné, il portait un pourpoint rouge brodé d'or, un pantalon plus sombre et des bottes de cuir noir, lacées. Sur ses épaules se trouvait sa pelisse en peau d'ours, grossière mais symbolique, et rien dans son attitude ne dénotait une quelconque tension. Par contre, à sa gauche, Elijah était pâle comme la lune, ce qui faisait ressortir la beauté de ses longs cheveux roux foncé. Sa robe bleu nuit la rendait encore plus diaphane, mais ses yeux étaient hantés, reflétant toute la colère et l'angoisse qui l'avaient saisie. Derrière elle, éternellement debout, le comte Freidhen était parfaitement impassible. Mieux, il avait l'air vide. Comme s'il ne restait plus rien derrière ses yeux fixes.

Mikah entra, la mine froncée, mais il se garda bien de prendre la parole. Il s'inclina respectueusement devant Alcyon de Bénétnash, puis devant la reine.

« Vous n'ignorez pas ce qui s'est produit cette nuit, maître Sandar, dit le prince, d'une voix parfaitement maîtrisée.

— Non, Votre Majesté. » dit le chef espion, sec.

On l'avait réveillé en pleine nuit pour lui en faire part et il avait passé un certain temps dans la salle en question avec ses deux homologues bénétnashiens. Les intrus étaient manifestement deux, ils avaient laissé leurs traces dans le sang du général. Mikah ne s'expliquait pas comment ils étaient rentrés, ni comment ils l'avaient libéré, mais au vu de l'état des deux gardes en faction, il apparaissait clairement qu'un des deux était un magicien, ce qui modifiait totalement la donne. L'espion devait avouer qu'il n'avait pas imaginé que la jeune Hélène puisse être une sorcière, même si cela expliquait sa promptitude à rallier le château après la chute de la ville. Décidément, les choses n'étaient pas aussi simples qu'il l'avait pensé. Mais tout ce qui comptait pour l'heure était qu'ils avaient réussi.

« Savez-vous qui est ce magicien ? demanda le Bénétnashien.

— Non, Votre Majesté. J'ignorais jusqu'à l'existence d'une telle personne dans l'entourage du général.

— Décidément, vous savez peu de choses, Maître Sandar. »

L'espion se redressa, piqué au vif.

« Si vous me laissiez un peu plus d'espace plutôt que de me coller deux incapables sur les talons, j'aurais peut-être pu prévenir ce fiasco. » répondit-il, de mauvaise humeur.

Alceste retint son souffle comme Elijah changeait de couleur. Alcyon plissa les yeux, dubitatif. Mikah resta défiant.

« Ecoutez bien, Sandar. Je vous laisse dix jours. Si dans dix jours, vous ne me l'avez pas ramené, je vous fais exécuter à sa place. »

Le chef espion ne bougea pas d'une semelle, les bras croisés.

« Et mes hommes continueront à vous accompagner. Je ne voudrais pas que vous me faussiez compagnie. Vous avez bien un détecteur de magie dans vos rangs ?

— Je n'en ai pas. La magie a toujours été le domaine réservé des Griffons Pourpres, Votre Majesté. » dit Mikah, déplaçant son regard vers Alceste Freidhen.

Ce dernier sursauta, manifestement surpris d'être pris à partie dans la conversation. Le prince bénétnashien le dévisagea avec une moue de vague mépris.

« Il y a des magiciens parmi vous, Freidhen ?

— Non, bien sûr que non, Votre Excellence. Mais nous sommes spécialisés dans leur recherche. »

Alcyon se leva, les toisant brusquement tous de son impressionnante taille. Enfin, tous sauf Mikah, qui devait être tout juste un peu plus petit. Il se voûta néanmoins légèrement, pour offrir au prince l'ascendant qu'il désirait.

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