61. Une perte, un gain

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Galaad ne parvenait plus à avaler quoi que ce soit. La nervosité lui tordait les entrailles, l'empêchait de dormir, de penser, de faire quoi que ce soit d'autre que de ressasser les mêmes idées fixes, la rafle en ville, la possibilité d'un échange. Il avait l'impression que tout le monde, tous ses partisans, les marchands, les ouvriers, les pêcheurs, les mendiants, les passants, les plus stricts inconnus, attendaient de lui qu'il aille se rendre à la milice pour monnayer la libération des innocents que la reine avait pris. Tout le monde sauf Ran, Galehaut, Ortwin et Griselda. C'était peu. Lui-même ne savait qu'en penser.

« Mange. » dit Ran en s'asseyant face à lui.

Il la dévisagea sans rien dire.

« Gal... Tu n'es déjà pas très épais au naturel, ça ne sert à rien de ne pas te nourrir. » dit-elle.

Il grimaça et baissa les yeux sur le ragoût du jour, le front plissé, la mine défaite. Galehaut était songeur, lui aussi, et une diversion heureuse survint lorsque Griselda et Ortwin surgirent dans la salle. Leurs bottes étaient couvertes de neige et ils tapèrent des pieds sur le pas de la porte, invitant l'air glacé à entrer avec eux, tout en retirant la couche de vêtements qui les protégeait du froid. Ils avaient l'air fiers d'eux.

« On a une idée, commença Griselda en avançant dans la pièce.

— Même une bonne idée... » continua Ortwin, refermant la porte derrière lui.

Bien que la jeune femme ait facilement deux ans de plus que son frère, ils avaient parfois tendance à se comporter comme des jumeaux, et leur visage avait des expressions identiques. Ils s'assirent à table. Galaad leur jeta à peine un regard. Les deux nouveaux venus dévisagèrent Ran et Galehaut avec un peu d'inquiétude, puis se lancèrent quand même.

« Je pense qu'on est tous d'accord pour dire que pour l'instant, on n'a pas de solution pour sortir les gens de prison. » commença Griselda.

Galaad releva la tête et leur jeta un regard vide.

« Non, on n'a pas de solution, trancha Galehaut.

— Le truc, c'est que même si on donne un gars de chez nous, y vont tuer tout l'monde, Gal. T'as compris, ça, quand même ? » fit Ortwin, direct.

Galaad se contenta de soupirer.

« Donc, ce qui nous faut, c'est quelqu'un de chez eux. » annonça Griselda, souriante.

Galaad se tourna vers Galehaut, qui écarquilla les yeux.

« Je n'aime pas ça, dit Ran, d'un ton lugubre.

— Quelqu'un de chez eux ? Vous avez quelqu'un en tête ? demanda Galehaut.

— Oui, bien sûr. Nous avons aussi un plan, et même une équipe prête à passer à l'action, dit Griselda en croisant les bras sur la table.

— Vous voulez qu'on kidnappe un noble ? s'exclama alors Ran, ne pouvant plus taire son incrédulité.

— C'est pas comme s'ils nous laissaient des masses de choix, en fait. Soit on laisse tomber, soit on monnaie un truc auquel ils tiennent, commença Ortwin.

— Aux grands maux, les grands remèdes. » murmura Galehaut.

Ran lança un regard apeuré à son frère, mais n'y trouva aucun soutien. Il semblait sombre et déterminé.

« Nous ne pouvons pas faire ça, murmura-t-elle.

— Qui avez-vous choisi ? l'interrompit Galehaut.

— Bah, on pensait que... »

La porte s'ouvrit soudain avec son grincement caractéristique et Hélène déboula dans la pièce. Elle s'immobilisa sur le pas de la porte, les vêtements froissés, la mine rougie, les yeux humides, la veste couverte d'un mucus sanguinolent. Les regards qui se tournèrent vers elle suffirent à la faire pâlir, et sans demander son reste, elle claqua la porte et disparut. Il y eut une seconde de battement, puis, de manière complètement imprévue, Galaad se leva et partit sur ses traces.

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