123. Des hommes exceptionnels

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En rentrant aux Sangliers, dans le soir tombant, Hélène avait la certitude que Mikah ne viendrait pas la chercher. A l'abri, désormais, elle avait peine à se remettre de ses émotions. Son cœur battait, dément, et ses côtes la faisaient souffrir. Un instant, elle avait même cru que la Fissure la rejetterait tant elle était hostile, mais elle avait quand même réussi à se frayer un passage jusqu'au socle de la fontaine de la place des Faons. 

Assise sur un tabouret, dans la tiédeur caractéristique de l'auberge, auprès d'une flambée chaleureuse, entourée de visages connus, doucement, elle essayait de retrouver son calme. Pourtant, Dimitri l'avait mise en garde, et elle devait se rendre à l'évidence : la réaction du maître espion ne l'avait pas complètement prise au dépourvu. Cela cadrait avec ce qu'elle commençait à savoir de lui : il était tout entier focalisé sur un objectif et il ne s'encombrait pas de considérations connexes, quelles soient humaines, matérielles ou morales. 

Elle était quand même déçue. Et en regardant Galaad qui, soucieux, faisait griller des pommes dans l'âtre pour se changer les idées, elle se souvenait d'une de leurs premières conversations, dans cette même salle, seulement un mois plus tôt, sans doute. Ils avaient parlé d'accorder leur confiance aux premiers venus, du danger qu'il y avait à s'ouvrir sans réserves, à se dévoiler. Elle n'avait pas l'impression d'avoir trop donné à Mikah, et il n'avait pas abusé de sa confiance, jamais. Il n'y avait donc là rien d'anormal, rien de déstabilisant. 

En même temps, elle avait fui au travers des murs de la cellule. C'était peut-être ça qui la mettait mal à l'aise. La certitude d'avoir fourni un élément qui jusqu'ici était secret, privé, éminemment personnel, à une personne qui n'était pas bienveillante. Mais pas vraiment malveillante non plus. 

Elle ne savait plus bien. Il fallait qu'elle aille voir Ibsen, ils ne s'étaient plus parlé depuis trop longtemps, et il n'avait manifestement pas quitté son antre. L'hiver l'usait. 

Finalement, elle alla s'asseoir près de Galaad, et il leva la tête, souriant une seconde. Pourtant, sa tension était ostensible, dans ses yeux violets, sur ses joues et son front. Jusque là, il l'avait laissée tranquille, mais sa présence silencieuse dans la pièce signifiait qu'il avait envie de parler.

« Alors, Kursha Tren ? demanda-t-il.

— Frisquet, répondit-elle.

— En tout cas, c'est une belle jument que tu as ramenée.

— Dimitri me l'a offerte. » fit-elle, avec une petite moue gênée.

Galaad haussa les sourcils et hocha la tête, appréciateur.

« J'imagine que rien de tel qu'un chevalier pour choisir une bonne bête, dit-il.

— Sans doute. C'était pour remplacer le Ténébreux.

— C'était un bon cheval aussi.

— Oui. Un très bon cheval. »

Il releva les yeux vers la flambée.

« Et qu'est-ce qui se dessine ?

— C'est ce dont je dois te parler, Gal.

— L'idée est toujours de mobiliser le peuple ?

— Plus que jamais. »

Il se passa les paumes sur le visage.

« Je ne le sens pas, murmura-t-il.

— Dimitri reviendra en ville pour mener le peuple, il... »

Galaad leva les yeux entre ses doigts et la dévisagea, stupéfait.

« Pour mener le peuple ? Lui ? »

Hélène réalisa qu'elle avait parlé trop vite.

« Enfin, avec toi, bien sûr. » ajouta-t-elle précipitamment.

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