132. Echos d'un rassemblement

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Il pleuvait à torrents, et la neige s'écoulait en boue infâme le long des rues, créant des mares glacées aux endroits où les égouts, désaffectés, refoulaient. Traverser la place des Elans était devenu une aventure digne des explorateurs qui avaient les premiers arpenté les régions de l'extrême nord, et une rivière coulait dans la rue des Espadons, se déversant sur la mer gelée, au niveau du quai des Cotonniers. 

Galaad était trempé jusqu'aux os, éternuant dans son manteau de laine gorgé d'eau. Sa santé était chaotique depuis quelques jours, et il renonça à sa tournée, perclus. Ce n'était certes pas le moment d'attraper la grippe. La ville bourdonnait de rumeurs diverses. On disait notamment que la tête du chef espion allait tomber, pour des raisons mystérieuses.

Bon débarras, songeait le jeune révolutionnaire en remontant vers les Sangliers, pris de frissons.

Imaginer la flambée réconfortante qui l'attendrait derrière les murs épais de l'auberge lui remonta le moral et il franchit les derniers mètres au pas de course, se permettant même de sauter à pieds joints dans une flaque. Une journée au chaud, voilà ce dont il avait besoin ! Il serait temps de continuer son racolage demain. Le ciel était sa bonne excuse.

Lorsqu'il poussa la porte, hurlante sur ses gonds, il se fit la réflexion qu'un peu d'huile suffirait à régler ce foutu grincement et décida d'en faire une de ses priorités. Il réalisa cependant que cette belle initiative devrait attendre lorsqu'il croisa d'abord les yeux humides de Ran, puis la mine préoccupée d'Ibsen, enfin le regard impassible du général de Molwen. Appuyé à la cheminée, il se réchauffait aux flammes de l'âtre, et Galaad le trouva un instant gonflé de profiter ainsi de son feu.

Mon feu, rechigna-t-il intérieurement.

Mais la pensée s'enfuit, et il ferma consciencieusement la porte, sans rien dire. Il retira lentement son manteau, qui perla en ruisselets sur le sol, et le suspendit à la patère. Puis il se tourna vers le général. 

La première chose qui frappa Galaad fut le fait qu'il était armé. Il avait l'air reposé, beaucoup plus dominant qu'une semaine plus tôt, lorsqu'il avait pour la première fois mis les pieds aux Sangliers. Il respirait la détermination et le révolutionnaire se sentit vidé. 

Ils se dévisagèrent une seconde.

« Nous attaquons après-demain à l'aube, lâcha simplement Dimitri, énonçant une vérité indiscutable, et Galaad ne put que s'asseoir.

— Après-demain. » fit-il, comme s'il avait de la peine à sortir d'un rêve.

Le général acquiesça, les lèvres pincées, le scrutant, attendant une réponse. Galaad hocha la tête, lentement, puis releva les yeux, un peu rougis par la fatigue.

« D'accord. » dit-il.

Et le soulagement se peignit, manifeste, sur le visage de l'officier gérébran.

***

Mikah s'assit face à Alecto, laquelle était défiante. La chute de Murmay avait débouché sur un carnage prévisible, et les récits les plus fous abondaient. Le froid, la faim, la violence. Les hommes étaient les mêmes partout, et rien ne ressemblait plus au sac d'une cité que le sac d'une autre cité. Alcyon voulait Saffron, à présent, mais la ville était mieux défendue et Martin avait anticipé le siège. De plus, il avait réussi à identifier de nombreux espions qu'il avait fait décolleter sans sourciller. Pas suffisamment pour protéger ses arrières, cependant. Mais Mikah n'avait plus la tête à ça.

« Alors, où en sommes-nous ? » demanda-t-il, incisif.

Alecto lui jeta un regard noir, mais il resta immobile.

« Avons-nous eu vent d'un rassemblement quelconque ? Des traces de nos fuyards ? »

La jeune femme baissa les yeux sur ses documents, puis les releva, les baissa à nouveau.

« Allons, ne vous faites pas prier. » grogna la Belette, en croisant les bras et y appuyant sa tête.

Mikah sentait que le Bénétnashien trouvait sa collaboratrice à son goût, mais il n'avait heureusement pas encore revendiqué de pouvoir se l'offrir. Ça ne tarderait plus, néanmoins. Il avait l'air d'apprécier son côté un peu rebelle. Mikah, par contre, en était plutôt déçu : on lisait en elle trop facilement, il l'avait crue plus endurcie.

« Galaad Ferwyn appelle à un rassemblement demain soir au chantier naval. Pour l'instant, il n'a contacté que ses lieutenants, finit-elle par annoncer.

— Hum... Intéressant, fit Mikah en se frottant le menton.

— Qui est ce Galaad Ferwyn ? demanda le Gros, intrigué.

— Un jeune idéaliste dont j'attendais des nouvelles. » répondit le Gérébran.

Mikah eut un bref sourire, un bref soupir, et se détendit imperceptiblement.

« Apparemment, Ruyven Manguean devrait être présent, ajouta-t-elle.

— C'est l'acolyte ? » demanda la Belette.

Mais quelle bonne mémoire, songea Mikah.

« Oui, en effet, répondit-il.

— Excellent ! s'exclama le Gros en frappant dans les mains.

— Et le général de Molwen ? » fit la Belette.

Alecto le regarda avec un peu d'incrédulité.

« Hum, non. Nous n'avons pas d'informations le concernant, dit-elle en rassemblant ses documents.

— Alors c'est une presque bonne nouvelle. » dit le Gros en posant une main sur l'épaule de Mikah.

Ce dernier lui décocha un regard meurtrier, mais le Bénétnashien ne retira pas sa main, crispant au contraire ses doigts sur l'étoffe.

« Ça ne sauvera pas votre tête mais peut-être passerez-vous vos dernières nuits dans un bon lit plutôt qu'en cellule. » ajouta-t-il, souriant.

Mikah se dégagea en se levant, le visage fermé.

« Ne faisons pas attendre le prince, murmura-t-il à mi-voix.

— Ce serait dommage, en effet. » dit le Gros.

Ils se dirigèrent vers la porte.

« Vous ne voulez pas dire au revoir à votre petite amie ? Après tout, c'est peut-être la dernière fois que vous la voyez, très cher. » fit la Belette, alors qu'ils allaient sortir.

Mikah haussa les sourcils. Il n'avait effectivement pas vu les choses de cette manière et se retrouva légèrement désemparé par la proposition de son gardien. Mais il se contenta de se tourner vers Alecto, de lui décocher un très léger sourire, puis de s'en aller sans rien ajouter. On verrait bien qui voyait qui pour la dernière fois.

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