49. Nuits agitées

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La nuit avait fini par tomber, paresseuse, et Hélène était allée se coucher parmi les sous-fifres, sous l'une des multiples bâches que l'on avait déployées à cet effet.

Mais à présent, dans la nuit noire et glacée, elle ne pouvait pas dormir. Ça avait commencé par un craquement, puis un deuxième, des rires, des voix étouffées, quelques mouvements autour d'elle. La peur s'était révélée par surprise, la prenant au ventre. Elle n'était pas très populaire parmi les écuyers, comme si elle avait volé une place convoitée par tous. La jalousie dans certains regards l'avait déjà frappée plus d'une fois, aux écuries comme sur la route... Mais là, dans le noir total, loin de la seule personne qu'elle connaissait, entourée par tous ces inconnus, ces hommes, pour la plupart, elle se sentait infiniment vulnérable. L'angoisse montait.

Et si... et si...

Elle ne voulait pas le voir, mais Derwenn était de retour. Pas en chair et en os, mais elle le devinait dans les ombres et les bruissements, dans la respiration rauque de quelqu'un vers la gauche, dans le chuchotement qui venait du fond près des latrines. Elle frissonna. S'il arrivait quelque chose, qui le saurait ? Qu'avait dit Iphigénie ?

Jamais en sécurité. Tu ne seras jamais en sécurité.

Hélène se redressa brusquement sur son lit de fortune, scruta un instant les ténèbres. On n'y voyait goutte. Elle se leva. Il fallait qu'elle s'éloigne. Qu'elle fuie. N'importe où... Trouver quelque chose pour se défendre contre eux. Eux qui qu'ils soient, quoi qu'ils planifient, quoi qu'ils veuillent. Elle se glissa, portant ses vêtements sur un bras, hors de l'amas de corps assoupis et partit dans la nuit. Harfang pourrait la protéger : tout le monde le craignait. Elle courut dans l'ombre, veillant à éviter les quelques feux de garde, et gagna l'endroit où elle avait attaché le cheval. Celui-ci, bien qu'endormi, la gratifia d'un petit soupir lorsqu'elle se glissa dans son ombre. Elle s'assit dans la neige, s'emmitouflant dans sa couverture, à l'abri du vent. Il faisait terriblement froid. Horriblement froid. Pour couronner le tout, il se mit à neiger, un petit crachin glacial et humide, des flocons fondants, poisseux, qui la transperçaient comme si elle n'avait porté qu'une chemise. Elle éternua. Harfang souffla. Impossible de rester là. 

Elle avisa l'ombre noire qui se trouvait seulement à une vingtaine de mètres et après un instant d'hésitation, elle se leva. Titubant de fatigue sous l'averse, elle se dirigea vers la tente du général. Deux gardes effectuaient une ronde mollassonne dans les environs, mais ils ne passaient à proximité du repaire de Dimitri qu'une fois de temps en temps, et Hélène n'eut aucun mal à se faufiler sous la toile sans qu'ils ne remarquent rien. Le gros de la surveillance s'effectuait en bordure du campement : l'intérieur était supposé sûr. 

A l'abri, la jeune femme tenta de maîtriser le claquement de ses dents, elle était gelée, mais savait surtout qu'elle n'avait rien à faire là. Pourtant ressortir lui semblait inimaginable. C'était irrationnel, elle le savait. La Crevasse était fermée. Personne n'oserait porter la main sur elle, elle était l'écuyer du général de Molwen, et tout le monde le respectait. Pourtant... pourtant. Elle se ferait toute petite et dormirait dans un coin de l'entrée, il ne le saurait jamais. Elle se laissa respirer plus librement, tentant de maîtriser ses tremblements. Il faisait déjà moins froid, elle se sentait déjà moins oppressée.

« Qu'est-ce que vous faites là ? » s'exclama alors le général, juste derrière elle.

Elle poussa un cri de surprise et bondit.

« Je... Je suis désolée mon général. Je m'en vais... je ne voulais pas...

— Calmez-vous. Qu'est-ce qui vous arrive ?

— Je... j'ai eu peur de dormir dehors. Je... je ne suis pas habituée à... enfin... je n'ai pas d'excuses.

— Venez. »

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