30. La cavalerie

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Court aujourd'hui et... Je vous laisse compléter ;)

***

Hélène ouvrit un oeil trouble. La lumière douce du petit matin filtrait au travers de volets fermés, dessinant des raies parallèles sur le plancher en bois. La tiédeur ambiante était agréable, et le lever aurait pu être divin si le souvenir des événements de la nuit précédente ne l'avait pas brutalement frappée au visage. Elle referma les yeux et sentit les larmes lui monter aux paupières, insidieuses. Elle se mordit la lèvre. Elle ne sentait rien, plus rien, et elle ne voulait rien voir, rien savoir. Elle se redressa brusquement et sortit du lit, incapable de contempler sa propre nudité, qu'elle sentait sale et meurtrie. Lorgnant le plafond, elle tâtonna pour trouver quelque chose à se mettre et tomba sur une pile de vêtements fraîchement lavés, qu'on avait déposés là, manifestement pour elle. Sans réfléchir à l'intention derrière le geste, elle s'en revêtit, frénétiquement, le coeur battant la chamade. Puis elle sortit, courut dans le couloir, dévala les escaliers et déboula à l'air libre, sur la terrasse. C'était toujours l'été.

« Petit déjeuner ? » fit une voix tranquille, sur sa droite, et elle sursauta.

Attablé devant une tasse fumante, un livre sur les genoux, le sourire lumineux, Derwenn était assis. Hélène écarquilla les yeux et descendit les marches qui la séparaient du chemin en une seconde. Derwenn se leva et alla jusqu'à la rambarde.

« Et où vas-tu aller ? lui lança-t-il. Il n'y a pas vraiment de sortie. »

Il avait un air amusé, comme s'il se délectait de la situation. Hélène eut un haut-le-coeur et vomit dans l'herbe.

« Ah ! Un premier signe ! s'exclama Derwenn, enchanté. Bon, nous avons neuf bons mois à attendre, autant prendre les choses avec le sourire, non ? Enfin, neuf mois si ta gestation ressemble à celle de l'humain. Nous verrons, ce sera intéressant. Maintenant, petit déjeuner ? »

Hélène blêmit et fut prise d'un vertige. Neuf mois ? De quoi parlait-il... Elle se mit à courir droit devant, vers le bois de pins par où ils étaient arrivés, le sang battait à ses tempes, elle avait un goût de mort en bouche, une envie de hurler mais rien ne vint. Elle atteignit le couvert des arbres, remonta le chemin, courut encore et encore, le souffle court, et déboucha face au mas. Derwenn arrivait, tranquille, les mains dans les poches, dans sa direction.

« Rien ne sert de courir, dit le dicton. » lança-t-il avec un large sourire.

Hélène fit volte-face et rentra dans le bois. Elle quitta le sentier malgré l'épais tapis d'aiguilles qui lui meurtrissait la plante des pieds. Aucune trace de rochers, nulle part. Aucune crevasse, aucune entrée vers la Fissure. Elle était hors d'haleine, la panique la faisait trébucher et elle s'immobilisa, tremblante, les jambes molles, l'esprit perdu. Entre les arbres résonnait un fredonnement léger et Derwenn réapparut, la mine réjouie. Il portait un pantalon de toile blanche lâche et une chemise bleue entrouverte, les pans sortis : l'image de la décontraction estivale. Hélène le vit avancer sans tiquer et à nouveau, tout son corps fut pris d'un violent tremblement. Tremblement qui s'accentua... le sol tremblait, de plus en plus violemment. Derwenn s'immobilisa à quelques pas et sa douce expression fut remplacée par un masque de franche fureur, tandis qu'il cherchait à conserver son équilibre en saisissant le tronc voisin. Hélène tomba à genoux comme la secousse s'arrêtait. Une main se posa alors sur son bras et elle poussa un cri.

« Du calme. » dit une voix grave.

Levant les yeux, elle croisa le regard d'un homme à la mine sévère, le visage marqué d'une cicatrice peu engageante, courant de la droite du menton à la gauche du front. Habillé de noir, il était vêtu d'une étrange veste croisée au col ouvert sur une chemise blanche, le pantalon tombant sur des chaussures de cuir lacées. La vision ne la rassura en rien, mais elle se laissa relever, incapable de se défendre, de bouger, de résister, finalement. L'homme la fit passer derrière lui et la retint d'une main ferme. Derwenn jura à haute voix.

L'autre lui jeta un regard noir.

« Pourquoi quitter mes bras pour te jeter dans les siens ! s'exclama Derwenn à l'intention de la jeune femme.

— Parce que je ne lui ferai aucun mal, Derwenn, répondit-il d'une voix forte.

— Aucun mal ? Toi ! Tu plaisantes. Tu lui feras mal sans même t'en rendre compte. » railla le sorcier bleu.

Hélène tenta de se dégager. Elle était agitée de tremblements convulsifs, mais le nouveau venu ne la lâcha pas.

« Ne l'écoute pas. C'est un menteur patenté, fit-il, doucement.

— Qu'en sait-elle, de ça ? C'est ta parole contre la mienne !

— Elle sait en tout cas que tu ne lui veux aucun bien.

— Matteo, rends-la moi. Je l'ai trouvée le premier.

— Il n'en est pas question. Ce n'est pas le premier prix d'un concours. Tu peux faire tout ce que tu veux avec les humains de ton Eclat, mais je ne te laisserai pas lever la main sur une des nôtres.

— Il n'est écrit nulle part que c'est interdit !

— La Fissure t'en empêchera.

— Tu n'en sais rien. Et je ne lui ai pas fait de mal, je veux juste...

— Tant qu'elle n'est pas d'accord, je considère que c'est la même chose.

— Matteo, bon sang de bordel ! Donne-la moi. Tu ne peux quand même pas la protéger jour et nuit ! Tu retardes juste l'inévitable ! s'énerva Derwenn, les traits congestionnés par une irritation malveillante.

— Le seul enfant qui soit né de l'un d'entre nous est malade et mourant. Est-ce ça que tu souhaites, Derwenn ? demanda Matteo.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles, Matteo. Tu ne sais rien.

— Tais-toi. Je ne te laisserai pas porter la main sur Hélène. Rentre chez toi. »

Le sorcier bleu secoua la tête.

« Je reviendrai la chercher, tu sais ça. Qu'est-ce que cela change ? demanda-t-il.

— Cela change qu'elle pourra se protéger de toi la prochaine fois que tu essaieras de t'en prendre à elle.

— Ha ! J'ai six siècles de maîtrise derrière moi, et tu crois qu'elle va pouvoir me résister !? lança Derwenn.

— Bien sûr. Je connais des techniques que tu n'as même pas encore effleurées.

— Tu bluffes. Tu es incapable de lui enseigner quoi que ce soit, et tu le sais.

— C'est ce que nous verrons. Rentre chez toi, maintenant. Je ne pense pas que tu aies réellement envie de me mettre en colère, si ?

— Matt...

— Je vais bientôt perdre patience, Derwenn. »

Le sorcier le dévisagea avec une haine farouche.

« Tu ne t'en sortiras pas comme ça, Matteo, finit-il par ajouter en faisant volte-face.

— Va-t'en, Derwenn.

— Ne la laisse pas croire qu'elle est hors de ma portée parce que tu as joué les sauveurs une fois. »

Matteo leva la main et brusquement, le sol se fendit d'une lézarde, laquelle courut jusqu'aux pieds du sorcier.

« Je m'en vais ! Je m'en vais. Espèce d'excité... » grommela-t-il en disparaissant dans les broussailles.

Matteo se retourna alors vers Hélène, et constata qu'elle avait les yeux agrandis de frayeur, le corps tendu et la bouche ouverte dans ce qui risquait de devenir un cri.

« Nous allons partir d'ici, à présent. » fit-il en souriant de son mieux.

Mais il ne lut aucun apaisement dans les traits défaits de la jeune femme.

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