40. Ecarter tout danger

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Le général de Molwen entra en coup de vent dans les appartements de la reine. Cette dernière, occupée à lire un courrier, sursauta.

« Votre majesté, dit-il d'une voix mesurée. J'ai mis des années à trouver quelqu'un capable de s'occuper de Harfang. Je ne peux pas laisser vos lubies m'en priver. J'ai appris de source sûre que vous aviez mis vos Griffons sur elle. J'exige que cet ordre soit révoqué sur l'heure. Je l'exige.

— Que racontez-vous ?

— Je ne plaisante pas, Elijah. Laissez-moi mon écuyer. Même si elle ne vous plait pas.

— Je ne vois vraiment pas de quoi vous voulez parler... »

Mais le général lui jeta un regard glacé, et elle finit par capituler, une moue boudeuse sur le visage.

« Très bien, très bien. Si ça vous tient tellement à cœur, soupira-t-elle.

— Je veux vous voir révoquer cet ordre, maintenant. » dit-il, pressant son avantage.

Elle déposa son parchemin, lui jeta un regard noir, contrarié.

« Si vous y tenez tant...

— J'y tiens, effectivement. »

Elijah lâcha un bref soupir d'exaspération avant de claquer deux fois dans les mains. Une femme de chambre apeurée fit son apparition, gratifiant la souveraine d'une révérence maladroite, puis fila chercher le comte Freidhen. Le général et la reine restèrent ensuite seuls dans la pièce, silencieux, pendant de longues minutes. Dimitri était de marbre, tandis qu'Elijah ne parvenait pas à masquer sa fébrilité. Alceste les délivra de ce pénible tête à tête en faisant son apparition. Il était tiré à quatre épingles, défiant, et jeta un regard sans aménité au général, révélant tout le mal qu'il pensait de l'union à venir. Dimitri savait pourtant que le comte avait donné son accord aux épousailles : Elijah ne serait jamais allée contre son avis. Mais Freidhen devait faire comme lui : se plier aux nécessités, même si elles étaient des plus désagréables.

« Votre Majesté, dit le courtisan avec la déférence sirupeuse qu'Elijah affectionnait tant.

— Mon cher, vous vous souvenez de cette petite palefrenière, que je vous ai demandé d'éliminer ?

— Oui, bien sûr, votre Majesté.

— Et bien, j'ai changé d'avis. Laissez-la vivre.

— Très bien, votre Majesté. » répondit-il.

S'inclinant, l'homme sortit, laissant Dimitri glacé d'horreur. La scène qui venait de se dérouler sous ses yeux le laissait sans voix. Bien sûr, il avait tué son content d'hommes, mais il n'y avait jamais eu la moindre désinvolture dans ses gestes, jamais de mépris, jamais de légèreté. Comment pouvait-on considérer la vie d'autrui avec une telle... vulgarité. Il mesura alors l'étendue de la violence qui couvait entre ces murs, et dans l'âme de celle qu'il était résolu à épouser. Avec peine, il maîtrisa un grand frisson.

***

Hélène déboucha hors d'haleine dans la cour des Sangliers, et reprit son souffle à l'abri du hêtre dénudé. Si Ibsen la voyait dans un tel état, nul doute qu'il la cloîtrerait à l'intérieur pour le restant de ses jours. Elle se passa les mains sur le visage et tenta de discipliner sa tignasse, puis, d'un pas qu'elle espérait tranquille, franchit la porte de l'auberge. La salle était bondée, et un petit orchestre improvisé animait la soirée.

L'hiver appelle la musique, songea Hélène en jetant un regard circulaire autour d'elle, tentant de reconnaître l'un ou l'autre visage au milieu de la cohue.

FissuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant