24. Une ville qui saigne

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Deux pour le prix d'un aujourd'hui... parce qu'ils ne sont pas très longs...

La table ronde qui accueillait les réunions d'état-major était encombrée de cartes et de parchemins divers. Autour des officiers, de lourds drapeaux rappelant d'anciennes campagnes feutraient la pièce d'une odeur de poussière et de gloire oubliée. On avait accroché des armes ça et là, reliques de guerriers trépassés, comme pour renforcer la fonction de la salle. Dimitri avait horreur de cet endroit qu'il trouvait sinistre à périr. Assis dos à la fenêtre, sur une chaise usée, il attendait patiemment que son état-major termine de s'installer, d'arranger cape et armure pour ceux qui avaient pensé utile de s'attifer de la sorte, ou qui n'avaient pas eu le temps de se changer, de trouver un endroit où poser leurs mains, leurs yeux, leurs pensées.

Rodrigue avait l'air ravi, comme de coutume. Il dévisageait les uns et les autres avec un sourire franc, impatient d'attaquer les hostilités. Bien qu'il fut un capitaine de navire hors pair, il appréciait les réunions de toutes sortes, adorait négocier, palabrer, discutailler jusqu'aux petites heures. Dimitri ne le comprenait pas, mais il était bien utile d'avoir un tel atout dans son jeu, surtout quand les décisions à prendre étaient contestées.

Aux côtés de l'amiral, se trouvait Laerte, sombre, qui devait sans doute se préparer mentalement à la suite, et à la question du dernier débordement urbain. Si Dimitri avait horreur de ces rassemblements, il savait que Laerte était encore plus allergique que lui à tout ce qui n'avait pas lieu sur un champ de bataille. Il était d'ailleurs en armure et la boue qui zébrait son plastron en disait long sur l'endroit d'où il venait.

Immobile comme une pierre, Tara lorgnait la table, les bras croisés, l'air complètement ailleurs. Elle était pourtant toujours concentrée, et devait ressasser l'une ou l'autre de ses interventions probables.

Enfin, venait Sonja. Dimitri était toujours fasciné par la différence entre les deux soeurs, le côté taciturne de Tara alors que tout était flamboyant chez sa cadette. Agitée, Sonja ne tenait jamais en place. Vêtue de son armure légère de chevalier-dragon, elle ne cessait de changer de position, passant de temps en temps une main fébrile dans ses courts cheveux noirs.

« Bon, on y va ? » demanda alors Rodrigue en claquant dans les mains.

Dimitri acquiesça.

« Nous avons plusieurs choses à discuter aujourd'hui. J'ai moi-même trois sujets à aborder, je ne sais pas si l'un d'entre vous à son propre ordre du jour... » commença le général.

Aucun signe de la part des autres, il continua.

« Alors j'aime autant commencer par le plus épineux, la situation en ville. »

Laerte bougea sur son siège, provoquant un concert de ferraille.

« Le fait que les pêcheurs... dit Dimitri.

— J'ai fait ce qu'il fallait ! l'interrompit Laerte, courroucé. Ces bouseux s'en prenaient à la flotte et foutaient le bordel. La milice a rétabli l'ordre, les pillages ont cessé, les gens sont rentrés chez eux. Ils avaient juste besoin qu'on leur rappelle leur place. »

Dimitri serra les lèvres.

« Laerte, je vais aller droit au but. La ville est en ce moment la proie d'une agitation qui devient problématique. Les rassemblements autour des révolutionnaires sont de plus en plus fréquents et les gens y sont de plus en plus nombreux. C'est le reflet d'un mécontentement que tu n'écraseras pas en envoyant tes hommes massacrer la foule, bien au contraire.

— C'est faux. Les gens se rassemblent pour écouter cet énergumène parce que tu ne me permets pas de les disperser !

— Je ne t'en ai jamais empêché.

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