16. La charge (partie 1)

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L'aube était fraîche et une petite brise piquante était descendue des montagnes, se faufilant dans les rues, soulevant feuilles mortes et poussière, oriflammes et capelines. Hélène marchait contre le vent, l'esprit toujours occupé par la conversation qu'elle avait surprise la veille dans la salle des Sangliers. Ce n'était pas tant le contenu de l'échange qui l'avait troublée, que les sentiments qu'elle avait perçus chez Galaad, cette fureur presque palpable mêlée d'espoir et de foi, mêlée de désarroi et d'angoisse. Elle se sentait un peu plus creuse, encore, d'avoir frôlé toute cette énergie chez son nouvel ami et de ne rien trouver de comparable en elle-même. Regagner les écuries militaires semblait une trahison supplémentaire. En même temps, se rallier à une cause sans rien en savoir n'était pas une solution. 

Arpentant les rues, elle prêta soudain attention à ce qui révoltait le jeune agitateur, et ce qu'elle vit la glaça. Des enfants à moitié nus fouillant dans les ordures, un vieillard en guenilles accroupi au coin d'une rue, l'opulence d'un carrosse qui fend la foule sans se soucier de rien, la majesté des bâtisses officielles et les lézardes dans la façade d'une maison vétuste dont s'échappe une odeur rance de maladie. Les attitudes dédaigneuses de certains, les regards hantés des autres. Elle se hâta.

Quand elle entra dans la cour des écuries, une certaine effervescence y régnait. Le général de Molwen était en grande discussion avec trois hommes bardés d'acier et de nombreux chevaux sellés encombraient déjà l'espace réduit. Hélène resta en retrait, hésitant sur la conduite à adopter. Devait-elle simplement gagner la stalle de Harfang, ou attendre un ordre de la part de son supérieur ?

« Toi ! grogna une voix derrière elle, et elle fit volte-face pour découvrir l'intendant des écuries, moustache hirsute et visage rougeaud. La cavalerie sort aujourd'hui. Va préparer le cheval du général. »

Hélène fila comme une souris, sans demander de précisions.

Le petit destrier se laissa seller en mâchonnant distraitement un brin de paille, complètement détendu. Hélène continuait à penser qu'on exagérait avec cette histoire de monstre indomptable. Elle ne l'avait encore jamais vu baisser les oreilles à son approche, ni même manifester une once de mauvaise humeur, un claquement de sabot ou un hennissement contrarié. Il était même de meilleure composition que le Ténébreux, à bien y réfléchir.

« Il faut le voir pour le croire. » dit une voix féminine, grave, depuis l'ouverture de la stalle.

Hélène leva les yeux, juste le temps d'apercevoir le général Tara Vaõ qui se détournait et repartait de son pas militaire. Le général de Molwen la suivait.

« Je vous ai fait seller un cheval, dit-il en croisant le regard d'Hélène.

— Je viens avec ? s'exclama-t-elle, spontanément.

— J'ai besoin de vous pour vous occuper de lui.

— C'est que... Je ne... Je ne comptais pas vraiment... aller à la guerre. »

Le général de Molwen la dévisagea, l'expression toujours aussi illisible.

« Nous n'allons pas à la guerre. Nous partons en manœuvre. Nous n'affronterons que la pluie. »

Il lui tourna le dos.

« Mais c'est bon à savoir... que vous ne voulez pas partir en guerre. »

Il soupira doucement.

« Moi non plus, à vrai dire. Mais c'est plus problématique quand on fait mon métier, évidemment. »

Et une seconde plus tard, il avait disparu, laissant Hélène interdite, la bride à la main. Harfang renâcla et la poussa doucement de la tête.

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