51. C'est la guerre, mais tout va bien

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Le soleil d'hiver se leva entre les arbres qui bordaient l'est du campement, et darda ses rayons sur la toile des tentes où reposaient les braves. Nouvelle journée, nouvel assaut, il n'y avait pas d'échappatoire. Derrière le flanc de la colline voisine s'étendait le charnier de la veille, et au delà, les troupes bénétnashiennes s'étaient rassemblées pendant la nuit, et avaient probablement accueilli des renforts. 

Debout avant l'astre diurne, Dimitri était sorti et avait regardé la lumière envahir la vallée, petit à petit, se déversant sur la neige immaculée qui couvrait le paysage. Les caprices du temps avaient l'avantage d'écarter les archers du combat, c'était une bonne chose. Néanmoins, seuls les Bénétnashiens étaient assez fous pour lancer une offensive en hiver. Leur empire était tellement vaste qu'au moment où le froid paralysait Gérébra, ils pouvaient se ravitailler sans peine dans d'autres provinces et ne manquer de rien. Les troupes du général n'avaient pas cette chance. Il fallait repousser l'agresseur vite et loin. 

Rien ne se jouerait cependant à Aryth, où aligner deux mille soldats était une peccadille. Dimitri tenait néanmoins à commander un deuxième assaut avant de rentrer sur Gérébra pour superviser la fin des préparatifs. Il avait parié sur le général Orlando de Huris, or rien dans les mouvements des troupes bénétnashiennes n'avait confirmé sa présence. Le Prince Alcyon se réservait pour la plaine, mais où était Orlando ? Avaient-ils décidé d'être tous les deux sur le front principal ? Qui Alcyon avait-il aligné à Aryth ? Manifestement pas un général très expérimenté, au vu des erreurs tactiques qu'il avait commises d'entrée de jeu. Dimitri voulait savoir à qui ils avaient affaire avant de laisser Tara derrière. L'idée d'avoir d'emblée mal estimé ce que ferait le Bénétnashien le turlupinait. Aryth n'était pas le lieu de la victoire, mais avoir envoyé un bleu... Qu'est-ce que cela cachait ? La neige avait heureusement cessé de tomber, mais elle avait désormais plus d'un pied de profondeur. Le terrain était dangereux et tous les destriers gérébrans n'avaient pas l'aplomb d'Harfang.

Si seulement nous étions allés au bout des réformes, songea-t-il avec amertume, en se remémorant les grandes lignes du projet qu'il avait mis au point avec Jack deux ans plus tôt, et qui avait été réduit à néant par les démêlés qu'avait eus son fougueux subordonné avec la justice.

Dimitri s'étira dans l'air froid. Derrière lui, le campement s'éveillait lentement. Des cris avaient résonné toute la nuit, et les médecins n'avaient pas dormi. Il était passé dans les travées de l'infirmerie avant d'aller se coucher, prendre des nouvelles des uns et des autres, écouter les doléances des soigneurs, peut-être, qui sait, redonner un peu de courage à ceux qui en avaient besoin pour survivre. Les pertes étaient acceptables, compte tenu des circonstances, même si c'était toujours facile à dire quand on était debout. Le baron Jehan de Kilm, qui commandait la garnison du même nom, faisait partie des hommes tombés. Il n'était pas encore mort, mais ni lui, ni le général n'ignoraient qu'il n'en avait plus pour très longtemps et Dimitri avait passé de longues minutes avec lui, à échanger quelques souvenirs heureux, pour l'aider à glisser dans la nuit. 

Jehan était un des rares barons avec lesquels Dimitri avait des rapports cordiaux. La plupart des hommes forts de la noblesse gérébranne avaient peu apprécié la manière dont Bran avait imposé son fils à la tête de l'armée, même si en tant que général, il avait le droit théorique de choisir son successeur. Dimitri les comprenait, mais en même temps, il était conscient de l'importance de faire barrage à cette arrière-garde désireuse de ramener le système gérébran à une féodalité obsolète. La nomination du nouvel état-major, cinq ans plus tôt, avait fait grincer des dents. 

D'abord, Dimitri n'avait pas choisi ses hommes parmi les barons, comme c'était l'usage, mais s'était entouré de jeunes avec lesquels il avait fait ses armes et qu'il connaissait de fond en comble. Il savait qu'aucun d'entre eux n'essaierait de le doubler, ce qui lui semblait moins clair avec des barons de quinze ans plus âgés. Un étranger à la marine, deux femmes sur quatre généraux, on avait beaucoup jasé sur ses choix. Laerte, et dans une moindre mesure Jack, avaient permis de conserver un contrôle relatif sur les officiers de sang, comme on surnommait les nobles qui gagnaient leurs galons de par leur naissance.

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