46. Le départ

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Hélène s'éveilla à l'aube, un peu vaseuse. Elle avait dormi sur un assemblage de bottes de foin plutôt confortable, mais elle en était couverte et passablement défraîchie. Profitant de la quiétude relative des écuries, elle se débarbouilla dans un des grands abreuvoirs puis entreprit de panser Harfang. Les premiers palefreniers ne tardèrent pas à arriver, et en quelques minutes, tout le bâtiment résonnait du brouhaha des grands départs. Une fois le destrier du général prêt, Hélène s'occupa du Ténébreux, qui, placide, avait passé la nuit attaché dans l'allée. Appliquée, Hélène guettait néanmoins le général de Molwen. Elle voyait défiler les chevaux sellés au bout de la travée, menés par des écuyers qui les entraînaient jusqu'à la cour. 

Enfin, il fit son apparition. Debout dans la lumière, il avait l'air ailleurs, le regard perdu dans le vague, comme s'il réfléchissait. Le fourreau de son épée faisait une saillie à travers la toile de sa cape et il portait une armure de cuir gris sombre. Rien dans son attitude n'indiquait qu'il ait l'intention de venir jusqu'à la stalle d'Harfang, il regardait dans une autre direction et Hélène se porta donc à sa rencontre, répugnant cependant à interrompre ses pensées. Une fois à quelques mètres, elle se sentit brusquement très mal à l'aise et s'inclina un peu maladroitement.

« Mon général.

— Hélène ? »

Elle eut une grimace.

« Mon général, vous pensez que c'est une bonne idée que je vienne ? Je vais vous encombrer, vous ne pensez pas... Si je viens avec vous... Je veux dire. Je ne sais rien faire... commença-t-elle.

— Vous venez pour vous occuper de mon cheval. Et il me semble que vous faites ça très bien, répondit-il avec aplomb.

— Oui, mais... Si ça tourne mal...

— Ne vous inquiétez pas. Il n'y a aucune raison que ça tourne mal. Et si ça tourne mal, je vous sortirai de là, fit-il, rassurant.

— C'est justement ça. Vous avez certainement autre chose à f... »

Il croisa les bras et la dévisagea, sceptique.

« Si vous ne voulez plus venir, je préfère que vous me le disiez franchement.

— Ce n'est pas ça, c'est juste que je ne veux pas être un poids.

— Alors, tranquillisez-vous. Ce que vous pouvez m'apporter en m'accompagnant a bien plus de valeur que ce que je pourrais jamais perdre en ayant à vous embarquer dans ma retraite. »

Elle rougit, mais il ne cilla pas.

Il parle toujours de son cheval, imbécile, songea Hélène.

« Mais je n'ai jamais... été au combat. Je ne sais pas... je ne saurai même pas vous aider à mettre votre armure.

— Je vous apprendrai.

— Et je n'ai jamais tenu d'épée, non plus.

— Et c'est plutôt une chance, ce n'est pas votre tâche. Allez me seller mon cheval, vous voulez bien ? Vous allez faire attendre tout le monde. » fit-il, secouant la tête d'incrédulité.


Hélène gagna finalement la cour, tenant le Ténébreux et Harfang par la bride, côte à côte. Effectivement, l'esplanade était noire de cavaliers, et les premiers s'écoulaient déjà dans la rue. La porte qui menait à la caserne s'ouvrit sur le général Vaõ, drapée dans sa cape noire de jais, et Hélène croisa un instant son regard dur, avant de se détourner vivement. Un jeune homme en uniforme bleu ciel s'empressa de lui tendre les rênes d'une jument sombre et la militaire se dirigea vers le centre de la cour, échangeant quelques paroles avec les cavaliers les plus proches, apparemment des officiers. Hélène vérifia la sangle de Harfang une dernière fois, puis s'en écarta. Pratiquement tout le monde était en selle, mais ne voyant pas le général de Molwen, elle hésitait quant à la marche à suivre. Enfin, il apparut, le visage impassible, et balaya la foule du regard, sans émotion, sans expression, même, et Hélène ne vit aucun signe qu'il l'avait vue, ou pas vue, d'ailleurs. Il avança parmi les cavaliers, et elle nota qu'il saluait chacun d'eux, même s'il ne s'attardait pas pour leur parler, puis il rejoignit Tara, qui était à présent perchée sur sa monture. Ils conversèrent un instant, Dimitri désigna une direction, Tara acquiesça avec une moue un peu contrariée, puis le général se dirigea vers Harfang. Cachée derrière le Ténébreux, Hélène était aux aguets.

FissuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant