109. Traques assassines

28 6 15
                                    

Les jours suivants n'apportèrent rien de bien neuf ni aux réfugiés de Kursha Tren, ni aux habitants des Sangliers, ni même à l'envahisseur bénétnashien. 

Seul Mikah était sur la brèche, bien qu'il présentât à ses collaborateurs improvisés le visage de la plus parfaite oisiveté. Il les balada dans la ville, leur expliquant les différents aspects de son dispositif, les présentant à ses hommes relais, qui seuls savaient qui étaient les agents de la base et qui ne le révèleraient pas. 

La surveillance dont il faisait l'objet ne se relâchait pas, et c'est à peine s'il pouvait uriner en paix. Les deux Bénétnashiens semblaient estimer que la promiscuité masculine était quelque chose de somme toute bien banal, mais cette présence continue commençait à porter sur les nerfs du chef espion. Il se rassérénait en songeant que quelle que soit l'issue des jours à venir, cette situation ne durerait plus. Pourtant, allonger le petit gros et ses blagues stupides d'un coup de sabre dans la panse était une perspective des plus alléchantes. Il en avait même rêvé la nuit précédente. Quant à la belette ténébreuse qui se donnait des grands airs, il lui aurait bien offert un second sourire. Mais tout cela était hors de question, bien sûr. 

En ville, les Griffons Pourpres continuaient à massacrer les rebouteux locaux sans discernement, mais ils n'avaient pas encore mis la main sur un véritable magicien. Normalement, l'annonce de cette traque aurait dû chasser les plus intelligents hors des murs, mais il restait le risque que certains ignorent la manière dont travaillaient les détecteurs. Mikah ne s'inquiétait pas outre mesure. Il avait fait son possible. 

D'un autre côté, ses propres hommes cherchaient la palefrenière du général. Quand ils trouvaient une demoiselle qui correspondait au signalement fourni par ses anciens collègues, ils l'amenaient à la prison où le palefrenier survivant procédait à son identification. Négative jusque là. 

Le second palefrenier était mort au cours d'une séance de torture un peu bâclée qu'avait tenu à superviser la belette. C'est vrai que c'était une petite nature, qu'il avait probablement le cœur un peu faible, mais briser une jambe pour faire parler un homme, c'était une technique originale que Mikah n'avait jamais expérimentée, et qu'il se promit de ne jamais utiliser à l'avenir. 

Quant aux demoiselles qui n'étaient pas identifiées par le palefrenier survivant... Elles allaient nourrir les sansoucis de la Tour aux Oiseaux, et les pauvres volatiles affamés étaient assez nombreux pour nettoyer les corps en à peine quelques heures. Finalement, avec le gel, c'était assez hygiénique. Mikah n'était pas certain que le massacre de ces jeunes femmes contribue à la bonne image de l'envahisseur, mais c'était son dernier souci. De plus, parlementer avec Alcyon pour sauver la peau de quelques ribaudes n'était franchement pas sa priorité. Il ne pouvait pas se permettre d'être sentimental. De toute façon, il ne l'était pas. 

Néanmoins, la réaction des Gérébrans à une première journée de rafles lui permit d'agir pour régler ce problème, ce qui lui donna presque bonne conscience. A l'aube du second matin, on ne trouva plus aucune jeune fille dans les rues, chacun prenant garde de conserver les petites brunes à l'intérieur. Cela réjouit le maître espion : les Gérébrans avaient apparemment trouvé des moyens de faire circuler l'information via des canaux discrets... La bonne vieille rumeur qui galope dans les ruelles. Rien de tel. 

Les équipes de recherche décidèrent donc de faire du porte à porte, ratissant quartier par quartier, sur la piste des Griffons Pourpres. Mieux, ils s'associèrent aux Griffons, ce qui permit à Mikah de fourguer des espions dans les pattes d'Alceste, sans que ce dernier puisse dire quoi que ce soit. 

Les équipes qui arpentaient la ville devenaient de véritables troupeaux : au moins trois Griffons, dont le couple de détecteurs, deux espions de Mikah et autant de Bénétnashiens. Les habitants de la cité les repéraient de loin, et le dédale de petites venelles et de portes de derrière, d'appentis, de caves, permettaient aux personnes inquiètes de prendre la tangente au besoin. 

De surcroît, Mikah conseilla aux enquêteurs d'embarquer le palefrenier avec eux, ce qui permit une identification plus rapide des jeunes filles et souvent, de leur sauver la peau. Le chariot qui contenait le misérable stationnait en milieu de rue, on lui apportait les suspectes, il niait, et elles étaient libérées sur place. Dans le meilleur des cas. 

La technique était efficace, mais bientôt, un « recruteur » bénétnashien accompagna les sorties, conduisant d'une charrette de bois sans fenêtres, et commença à réquisitionner les filles les plus jolies, les embarquant au fur et à mesure qu'elles passaient le test. C'était peut-être mieux que d'être égorgée dans un cachot putride. Peut-être. 

La recherche était lente, la ville immense, les maisons tortueuses, les Gérébrans peu désireux de rendre service à l'envahisseur en dépit des menaces qui pesaient sur leurs têtes. Mikah fit en sorte que le quartier du Cerf soit le dernier à être fouillé, ce qui laissait environ quatre jours avant que la traque ne se pose dans la rue qui abritait les Sangliers de l'Automne. Au delà de ça, que chacun prenne ses responsabilités.

FissuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant