145. Talents complémentaires

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Alcyon semblait s'être enfin décidé à sortir de son antre, lorsqu'une silhouette familière vint à sa rencontre, coupant momentanément ses velléités de promenade. Souriant, couvert de sang, Mikah s'encadra dans l'embrasure de la porte, le sabre au clair, et jeta un coup d'œil circulaire sur la pièce. Il était en pleine forme, ragaillardi, libéré de ces interminables journées à faire des courbettes devant l'envahisseur.

En un mot, il se délectait.

Il s'appuya contre le chambranle, lorgna les ongles de sa main gauche et bâilla un instant, puis reposa son regard amusé sur le prince bénétnashien. Ce dernier semblait contrarié, mais maître de lui-même. Sans doute pensait-il que rien n'était fait. Mais il devait ignorer que quelques minutes plus tôt, un cheval emplumé, une créature inexistante, un mythe en somme, s'était posé dans la cour avec une bien mauvaise nouvelle en croupe. Tant pis pour lui.

« Je suis désolé, Votre Majesté, mais je crois que vos officiers ont eu quelques soucis en venant par ici. » fit-il, faussement désolé.

Alcyon le foudroya du regard.

« Je vous ai sous-estimé, Maître Sandar. J'aurais dû imaginer que vous seriez prêt à sacrifier des Gérébrans, ces rassemblements, et même toute une ville comme Murmay, pour endormir ma méfiance... Vous avez même torturé votre général ! » grommela-t-il.

Mikah lui sourit, tranquille.

« Vous imaginez trop que les scrupules nous étouffent, cher prince, et que vous êtes le seul à pouvoir frapper sans frémir. Je n'ai pas de leçon à recevoir dans ce domaine. » répondit-il.

Alcyon secoua la tête.

« Il est vraiment regrettable que vous ayez choisi le camp gérébran. Nous aurions pu faire une bonne équipe, vous et moi. » ajouta le Bénétnashien, s'approchant lentement, l'épée pointée vers le sol.

Mikah ne se faisait pas d'illusion sur ses intentions.

« Je ne crois pas, dit l'espion. Une bonne équipe tient sur l'alliance entre des talents complémentaires. Et voici justement qu'arrive mon partenaire favori... »

Mikah fit un pas de côté alors que Dimitri s'encadrait à son tour dans l'embrasure de la porte, fulminant, l'épée blanche hors du fourreau. Il croisa le regard du chef espion qui lui sourit amicalement, comme s'ils se rencontraient au coin d'une rue.

« Je te le laisse. » offrit l'espion au général.

Dimitri avait les yeux réduits à l'état de fente, Snowvern dressée devant lui, et Alcyon se ramassa comme un tigre.

« Tu ne perds rien pour attendre... grommela Dimitri.

— Je serai dans la pièce à côté. » répondit l'espion avec le même flegme.

Mikah recula encore et laissa les guerriers se heurter. Sans plus leur prêter la moindre attention, il les contourna par la droite, se glissa entre deux meubles puis gagna la porte du fond. Il ne fut pas surpris de trouver les battants verrouillés : le désordre n'était pas passé inaperçu. Derrière lui, les épées ne s'étaient pas encore heurtées. Les combattants se toisaient. Alcyon parlait, Dimitri ne répondait rien.

« Elijah ? Ouvrez-moi, siffla Mikah contre la paroi de bois.

— Maître Sandar ?

— Elijah, vous êtes en danger. » ajouta-t-il.

Il l'entendit marcher vers la porte et rengaina son sabre. Le cliquetis de la clef ne tarda pas et elle le laissa entrer. Pâle et terrifiée, elle poussa un cri en apercevant ce qui se déroulait dans son dos. Ses yeux clairs s'emplirent de larmes et elle arpenta la chambre à grands pas, serrant convulsivement les poings, ne sachant pas quoi faire d'elle-même. Elle avait à peine passé une robe de nuit sur son corps encore nu. Elle finit par s'immobiliser et dévisagea le chef espion.

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