102. Refuges

23 6 15
                                    

Rodrigue parvint le premier sur la plage. Le vent ululait, violent, et il avisa la lisière d'un petit bois, dont les arbres étaient secoués dans tous les sens. Ce serait toujours mieux que rien. La côte est de Gérébra était plutôt plate, manquant de grandes grottes maritimes dans lesquelles se réfugier. Mais avant de se remettre en marche, il se détacha consciencieusement, repliant la corde au fur et à mesure que Dimitri se rapprochait. Finalement, le général surgit, la jeune femme dans les bras. 

L'amiral avait un peu de mal à comprendre pourquoi son ami avait cru bon d'emmener avec eux une demoiselle aussi frêle, même s'il s'était bien gardé de faire le moindre commentaire. Cela dit, il aurait pu parier qu'elle n'arriverait pas jusqu'au bout. Maintenant, en plus, elle risquait d'y rester. Décidément, Dimitri avait des manières étranges de distribuer son affection.

« Comment va-t-elle ? demanda l'amiral.

— J'ai l'impression que ça va mieux. Et avec un bon feu, ce sera optimal, répondit le général.

Hélène bougea dans son sommeil, papillonnant des yeux une seconde.

« Bougeons-nous. » fit alors Rodrigue, et ils montèrent vers le bois.

La nuit était encore profonde mais ils avaient faim. En été, le soleil aurait déjà commencé son ascension, révélant la campagne sous ses pâles rayons. Mais l'hiver rendait les ténèbres souveraines, et arrivés sous le couvert maigre des arbres nus, ils étaient dans le noir le plus total. Rodrigue sortit une torche de son sac et l'alluma rapidement. Dimitri le regarda, impressionné. Découvrant son expression à la lueur de la flamme, l'amiral sourit doucement

« Les réalités d'un navire ne sont finalement pas si éloignées de celle de l'hiver. Il faut compter avec le froid, le vent et l'humidité. On devient vite un spécialiste de ce type de conditions climatiques. » annonça-t-il, modeste.

Hélène bougea, grommela une seconde, puis se dégagea des bras du général et glissa au sol. Sans réellement leur accorder un coup d'œil, elle s'éloigna d'eux, la démarche un peu titubante, mais pourtant décidée. L'amiral fronça les sourcils tandis que Dimitri la rattrapait.

« Hé... » fit-il en posant une main sur son épaule.

Mais Hélène ne se laissa pas démonter.

« Par là... » dit-elle d'une voix faible, en désignant une direction entre les arbres, puis elle se remit en marche.

Dimitri regarda vers Rodrigue, et ils haussèrent les épaules avant de lui emboîter le pas. Ils ne cheminèrent pas longtemps et arrivèrent à un remblai dans lequel s'ouvrait une caverne. Le général arrêta la jeune femme et passa devant elle, aux aguets, le bâton à la main. Rodrigue le rejoignit. Mais nul ours n'hibernait dans l'abri rocheux, la voie était libre. 

Hélène se glissa sur leurs traces, et du bout des doigts, elle toucha les murs, un léger sourire sur les traits. Elle semblait fatiguée, mais soulagée d'être arrivée à bon port. L'amiral ressentait la même chose et il posa son sac alourdi sur le sol. Dimitri s'était déjà mis en quête de bois pour allumer un feu et lorsqu'il reparut avec un chargement, Hélène dormait à poings fermés, allongée à même le sol, les doigts presque crispés sur le rocher. Rodrigue termina de déplier une couverture sur elle, et il regagna le centre de l'espace. 

Rapidement, ils allumèrent un petit feu et la belle chaleur crépitante des flammes les ragaillardit, l'un et l'autre. Ils s'assirent en silence, retirant leurs manteaux trempés. Shallow était encore à plusieurs lieues, et il fallait profiter de la nuit pour continuer leur route, mais cet instant de répit était bienvenu.

***

Les trois voyageurs se reposèrent deux heures dans la petite caverne, puis reprirent leur route. A la grande surprise des deux officiers, Hélène s'était réveillée pleine d'énergie, comme si la petite baisse de régime de la nuit n'avait jamais eu lieu. Eux n'avaient pas dormi, soucieux de ne pas casser leur rythme, mais ils étaient habitués aux longues heures de veille, inhérentes à leur profession.

FissuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant