103. Rebelles

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Il y eut un mouvement dans le ciel et soudain, au sol, une douzaine d'hommes encerclèrent les trois voyageurs. Comme de coutume, ils portaient des vêtements couleur boue de neige, les visages recouverts de terre et les arcs au poing. Le général lâcha son bâton, aussitôt imité par l'amiral. Hélène avait perdu le sien depuis longtemps, quelque part sur l'océan.

« Ce sera au conseil de statuer sur votre requête, dit l'homme à la voix grave, un barbu sévère de taille moyenne, apparemment leur meneur.

— Bien sûr. » dit le général.

Puis ils se mirent en marche, encadrés par les Trenans. Hélène n'aurait pu le jurer, mais elle avait l'impression que plusieurs de leurs gardes avaient reconnu le général et l'amiral, et leur jetaient des coups d'œil à la fois inquiets et intéressés, même si personne n'ouvrit la bouche. Les Trenans se glissaient dans la forêt avec aisance, leur dessinant une piste invisible mais praticable, et leur vitesse de déplacement s'en trouva améliorée. 

Finalement, au bout d'une heure supplémentaire, ils atteignirent un rempart de buissons épais, crénelé de petits chemins diffus et ils s'y engagèrent. De l'autre côté, Kursha Tren, la cité de toile, s'étendait, dans son habituel désordre de cordages et de tentes. 

C'était la première fois que le général et l'amiral y mettaient les pieds, et la jeune femme se délecta secrètement de leurs regards étonnés. Rodrigue ne cachait rien, la bouche entrouverte et les sourcils mobiles. Dimitri était plus illisible, mais elle commençait à percer chacun des reflets qui animaient sa cornée, les légers plis au coin de sa bouche et de ses yeux, parvenant à le lire presque aussi facilement que Galaad, qui exposait toujours ses émotions comme autant de fanions. 

Ils avancèrent dans la clairière, encadrés par les archers, et franchirent les limites du campement, passant entre les gardes en faction. Le bruissement des conversations les accompagnait comme de nombreuses personnes abandonnaient leur labeur pour venir assister à leur arrivée. On les guida vers l'allée centrale de la ville fantôme, jusqu'à un cercle dégagé où s'ouvraient cinq grandes tentes coiffées d'oriflammes ternes, qui claquaient, humides, dans l'air piquant de la mi-journée. 

Bien que personne n'ait franchement l'air amical, ni Rodrigue, ni Dimitri n'étaient anxieux. Ils étaient désarmés, mais ne semblaient pas douter des intentions trenannes. Pourtant, livrer les deux officiers aux Bénétnashiens aurait pu constituer une monnaie d'échange appréciable pour une cité vraisemblablement en sursis. 

Ils s'immobilisèrent dans la boue qui couvrait l'esplanade, toujours encerclés, et attendirent. Il y eut un mouvement dans une des tentes et soudain le pan s'ouvrit, révélant Jack Woodward, incrédule. Il fit un pas en avant, et d'incrédule, devint franchement éberlué.

« Que la carne céleste soit louée... » murmura-t-il.

Il fit encore un pas, se planta devant le général et le prit dans ses bras, dans un même mouvement brusque. La tension se relâcha immédiatement, et les Trenans, respectueux, s'éparpillèrent, à l'exception de quelques archers, qui s'écartèrent sans pour autant se retirer, des flèches toujours encochées dans la corde de leurs armes.

« Bon sang, Dimitri, tu es vivant, dit Jack en relâchant son étreinte. Cymbeline nous avait prévenus de ton évasion, mais... Il faut le voir pour le croire. »

Dimitri acquiesça.

« Al Feratz veille sur moi, fit le général.

— Cette journée promet d'être mirifique. » dit le bandit en tournant son regard vers Rodrigue.

Ce dernier leva la main, en guise de salut, mais il ne put éviter l'étreinte d'ours du Trenan.

« Salut Rodrigue, vieille branche.

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