143. Ouverture

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Les ardoises étaient glissantes, mais emporté par sa course, Galaad profitait de sa perte d'équilibre pour avancer encore plus vite. Il finit par s'immobiliser devant un gouffre entre deux bâtisses, trop large pour qu'il puisse le franchir d'un saut. Debout dans les hauteurs, il apercevait les oriflammes de la porte, encore éloignés, et il jura intérieurement. Un fracas retentit sous lui et il constata que ses poursuivants avaient anticipé sa trajectoire. Il repartit en sens inverse, piégé sur les quelques toits du pâté de maisons, s'éloignant, rageur, de sa destination. Courir, encore. Son esprit carburait à toute vitesse, mais il ne pouvait pas réellement s'immobiliser pour réfléchir et prendre une décision.

Une ombre le survola et levant les yeux, il vit Al Feratz au-dessus de lui. L'étalon hennit et piqua dans sa direction. Galaad se figea une seconde. Le Dieu se posa sur le toit, le regardant de ses yeux noirs, et le jeune révolutionnaire n'osa pas bouger. Le général n'était plus sur son dos.

Allons, en selle ! s'exclama une voix profonde dans sa tête et sans se le faire répéter, Galaad grimpa sur le dos de l'animal divin, qui reprit son envol.

Il ferma les yeux, se cramponna de toutes ses forces, et puis il pleura, tout simplement, une seconde, alors qu'Al Feratz l'emportait en cercles dans l'air glacé. Quelques instants plus tard, ils plongeaient sur la porte est et l'esprit gérébran le laissa sauter sur le chemin de ronde avant de reprendre de l'altitude. Galaad le regarda disparaître vers la forêt, battant de ses immenses ailes bleu sombre, avant de faire face à un premier garde qui l'assaillait.

Sa distraction d'un instant le gratifia d'une balafre sur la joue, mais en évitant le coup suivant, il songea que s'il survivait à ce jour, il arborerait fièrement cette cicatrice, symbole de l'instant où le Dieu gérébran lui avait témoigné, quelque part, sa confiance.

Néanmoins, seul au milieu des gardes ennemis, il déchanta rapidement.

Une minute de gloire avant la tombe, bravo, songea-t-il. 

Al Feratz, dans sa grande confiance, l'avait mis dans la mouise. Heureusement, un groupe de Gérébrans, menés par la rousse à la rapière, déboucha soudain au bas de la porte, et les gardes bénétnashiens rompirent l'assaut pour se porter à leur rencontre. D'autres citadins vinrent grossir les rangs des révoltés, submergeant peu à peu des envahisseurs interdits, confrontés à la juste colère de ceux qu'ils avaient pensé écraser.

***

Quelques minutes plus tard, la porte Est s'ouvrit la première, et les oriflammes oranges furent baissés sous les vivats. Triomphants, les Gérébrans coururent le long de la muraille pour déloger les Bénétnashiens un par un, lesquels opposaient de moins en moins de résistance, préférant s'enfuir voire se rendre à être piétinés sous une multitude qui tirait son pouvoir directement d'une créature surnaturelle. Néanmoins, de nouveaux contingents ennemis s'étaient réorganisés au cœur de la ville et s'apprêtaient à prendre les insurgés à revers. Les troupes venues d'Aryth s'élancèrent alors, déferlant dans la plaine en une vague désordonnée, portant toutes sortes de couleurs, et pénétrèrent dans la cité pour prêter main forte aux citadins, qui manquaient, leur haut fait réalisé, d'être débordés à leur tour. Au moment où il franchit la porte, l'amiral Bryne aperçut Galaad, encore perché dans les hauteurs, et les deux hommes se firent signe. Après quoi, le Kaylite baissa son épée et se concentra sur ses adversaires, tandis que le jeune révolutionnaire cherchait à reprendre son souffle, sa tâche terminée.

La porte Ouest s'ouvrit ensuite et Tara chargea à son tour. Comme elle l'avait craint, les deux catapultes crachèrent leurs rochers meurtriers, mais seulement une fois avant de rester définitivement immobiles. De même, ils furent accueillis par une volée de flèches peu nourries, qui ne furent jamais suivies d'autres, avant de gagner le quartier du Cygne, dans lequel ils s'engouffrèrent avec fracas. Mais l'armée gérébranne reprenait la capitale, et son courroux n'était dirigé que vers les envahisseurs, épargnant civils et bâtiments. Le désordre n'en était pas moins terrible et les troupes de Tara furent prises à parti par un gros contingent de militaires bénétnashiens qui les attendaient sur la place de l'Oie Sauvage. Le terrain urbain n'était pas propice à la guerre, mais puisqu'ils cherchaient le combat, ils l'auraient. Les épées glissèrent hors de leur fourreau et ce fut le choc sur les pavés boueux.

Enfin, la porte Nord s'ouvrit pour cracher au dehors une débandade bénétnashienne. Les Trenans n'hésitèrent pas une seconde et leur tombèrent dessus sans faire de quartier, avec une créativité redoutable et finalement peu de mesure. Une fois les fuyards piétinés dans la neige, ils entrèrent à leur tour dans la cité, par la grande avenue des Bovins, où ils pouvaient galoper à quatre de front. Il restait néanmoins de nombreux soldats ennemis en ville et ils ne tardèrent pas à les trouver, groupés et concentrés, en bout de course. Les archers trenans démontrèrent alors toute leur compétence, criblant la première ligne ennemie avant que Jack n'entraîne sa cavalerie démente pour les heurter. Le sol glissant de la capitale se révéla néanmoins traître pour les assaillants et leurs victimes, et bientôt, le combat se poursuivit à pied. Peu à peu, les citadins se replièrent pour panser leurs blessures, laissant l'armée régulière prendre les choses en main, affronter la violence encore vive des envahisseurs qui reprenaient confiance comme Al Feratz avait disparu. Plus d'un Gérébran leva les yeux pour guetter sa présence protectrice, mais il s'était envolé, sa tâche achevée, et sans doute réussie, rendant aux hommes la maîtrise de leur propre destinée.

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