70. Crise d'otage

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La nuit se retira paresseusement de Gérébra, levant tout juste les ténèbres sur les rues pétrifiées. Le verglas qui recouvrait à présent les pavés de la cité rendait tout déplacement traître et la ville semblait morte. Les rares courageux longeaient les murs avec maladresse et conserver sa dignité dans pareilles conditions était mission impossible. Seuls les enfants semblaient profiter des grands froids, et ils étaient nombreux à cavaler dans les ruelles, se battant à coup de boules de neige et rivalisant d'adresse lors de grandes glissades. La milice était aussi de sortie, les chevaux ferrés de crampons qui s'arrimaient à la glace la plus dure. Galoper était néanmoins hors de question et ils cheminaient, glacés, à un petit pas malhabile.

Levée la première, Hélène s'était glissée, une couverture sur les épaules, jusqu'à la réserve pour y prendre le bois nécessaire à réchauffer la salle des Sangliers, où l'atmosphère était polaire. Les caves étaient un peu moins crues, comme si le sol avait conservé un peu de la chaleur de l'été. Il y faisait néanmoins très froid. Une fois parmi les branchages, la jeune femme eut le regard attiré par de nombreuses traces de pas, récentes, qui s'étaient imprimées dans la terre meuble. Elles menaient jusqu'à une porte qu'elle n'avait jamais vue, mais dont on avait sommairement dégagé l'accès, si ce n'était pour une planche levée, bouclier de pacotille.

Curieuse, elle se souvint de la mine de conspirateur de Galaad, la veille, lorsqu'il était remonté du sous-sol. Elle déplaça donc prudemment le pesant bardeau, puis, levant sa lanterne, poussa doucement la porte, une appréhension sourde au ventre. Elle entendit un mouvement lorsqu'elle entra. Puis le cercle de lumière lui révéla la chaise et le prisonnier. Hélène pâlit et manqua lâcher sa lanterne. D'une main, elle réprima le cri qui venait de naître dans sa gorge et s'approcha du centre de la pièce. L'amiral avait les yeux bandés, la bouche bâillonnée, et des liens lui retenaient les bras dans le dos, les chevilles, la poitrine aussi. Tête basse, il semblait inconscient, endormi ou trop accablé pour se tenir droit. Hélène, malgré son épouvante, fut soulagée de constater qu'il était indemne. Son uniforme était déchiré et sali, mais il ne portait pas de blessures apparentes.

Elle hésita un instant à faire un pas en avant, pour le toucher, lui parler, mais elle réalisa que c'était probablement la pire des choses à faire. Seul dans son silence, le prisonnier pouvait garder l'illusion que personne n'était témoin de sa déchéance. Mais il faisait si froid... D'un geste, elle le recouvrit de la couverture qu'elle avait emportée. Il ne frémit pas. Sa respiration soulevait la corde qui lui barrait la poitrine, mais il dormait. Hélène serra les poings et fila. Elle remonta quatre à quatre jusqu'à la salle des Sangliers, avant de gravir les marches de l'étage, et d'aller frapper à la porte de Galaad, essoufflée et tremblante.

« Oui ? » répondit le jeune révolutionnaire.

Elle entra, défaite. Il était penché sur un parchemin, qu'il examinait, les sourcils froncés, à la petite table qui trônait devant la fenêtre. Dans un coin, entre deux livres, une tasse de thé fumait.

« Gal, tu as perdu la tête... » murmura-t-elle d'une voix lasse, ne sachant où commencer.

Il releva les yeux, sans comprendre, manifestement encore un peu endormi.

« Kidnapper l'amiral Bryne... Pourquoi a-t-il fallu que tu kidnappes l'amiral Bryne ? Le général de Molwen était prêt à parlementer, et il a fallu... Ces méthodes... Pourquoi, Gal ? »

Le jeune révolutionnaire grimaça, mécontent.

« Tu es encore allée fouiner... grommela-t-il.

—Non. Je suis tombée sur lui par hasard. Galaad, c'est...

— Nous avons besoin d'un moyen de pression, l'interrompit-il.

— Enlever des gens... C'est incroyablement dangereux !

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