42. Rumeurs de guerre

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Dimitri attendait les Bénétnashiens avec impatience. Debout dans l'antichambre de la reine, un tailleur empressé à ses côtés, Elijah et Alceste l'observant avec le sourire, il n'avait jamais autant aspiré à la guerre. N'importe quoi pour lui permettre de fuir l'atmosphère confinée du palais et les insupportables préparatifs des noces. Mais l'hiver était sur Gérébra et tout semblait figé. Le temps surtout, mou, ennuyeux, interminable. Le temps de choisir un menu, un costume, des invités. 

Le temps de choisir des divertissements, la couleur des nappes, bon dieu, songea-t-il, des nappes ! 

La pensée lui donna un frisson, mais il se reprit et concentra son esprit sur autre chose, les nuages, la semaine écoulée, les choses à faire encore pour que la ville soit prête à affronter l'hiver et l'ennemi.

Il avait supervisé la réparation de la muraille, un travail qui aurait dû normalement incomber à Laerte, mais comme ce dernier avait l'air de peu s'en soucier, Dimitri avait pris les choses en main. Les remparts étaient à présent sécurisés sur tout le pourtour de la cité, et Dimitri en avait profité pour ordonner la révision complète des systèmes de protection en cas de siège. Il avait fait le tour de la muraille, discuté avec les principaux commandants, revu à la hausse les munitions des archers et modifié la disposition des seize catapultes. Le général avait confiance en ses fortifications, le problème était bien évidemment d'obliger l'adversaire à rompre le siège au plus vite. Avec l'Hiver, la famine risquait de se déclarer beaucoup plus rapidement, peut-être même sans guerre... Et de toute façon, l'armée bénétnashienne ne pouvait pas entrer aussi loin dans le royaume... Si elle y parvenait... Il était des choses que Dimitri n'aimait pas imaginer, mais en même temps, c'était son rôle de le faire. Si siège il y avait, il ne serait d'ailleurs peut-être plus là pour le contempler.

« Il faudrait que vous leviez le bras gauche, mon général. » dit alors le tailleur d'une petite voix, et Dimitri s'exécuta.

Rodrigue avait terminé de rassembler la marine à terre. Ensemble, ils avaient mis deux jours pour passer les troupes en revue et décider qui irait servir où. L'amiral avait prévenu ses hommes des changements prévus pour l'hiver, et ils avaient tous été réaffectés sans trop de difficultés, la plupart dans l'infanterie. Bien sûr, ils ne se battraient pas comme des vétérans aguerris, et leurs compétences étaient un peu sous-employées, mais le général ne voulait pas perdre le moindre homme avant les premiers engagements. Sandar avait parlé de vingt mille hommes mobilisés à Bénétnash même, soit deux fois plus que dans tout le royaume gérébran. Mais l'Empire bénétnashien était dix fois plus grand que le territoire d'Elijah. C'était irréductible. A cela s'ajoutait le fait que leur société avait toujours été guerrière et portée sur la conquête. Bien sûr, Gérébra était idéalement positionnée, avec Shallow l'inextricable au nord-est, les montagnes à l'est et la mer au sud, le royaume estiron vers l'ouest... Il restait la plaine du nord-ouest, et c'était là que l'ennemi porterait le gros de son armée. La ville de Murmay était en première ligne, et l'évacuer était tentant. En même temps, les Bénétnashiens n'avaient pas encore bougé. Pas encore. Alcyon était un général hors pair, Dimitri en était bien conscient. Il savait aussi que le Bénétnashien en faisait une affaire personnelle. Ecraser le général de Molwen. C'était presque une profession de foi. Pourquoi, il ne savait pas bien... Et il n'avait que dix mille hommes à opposer au raz de marée orange qui descendrait sur Gérébra.

« Levez la tête, s'il vous plait. » murmura l'homme qui s'affairait autour du général.

Une fois encore, l'officier s'exécuta sans rien dire, n'accordant aucune attention à la reine et son conseiller, qui l'observaient comme s'il avait été une sorte de bête de foire. Elijah l'avait consulté dix fois par jour, sur les choses les plus insignifiantes possibles, comme si elle tentait par tous les moyens de le faire sortir de ses gonds. Surtout des histoires de couleur... couleur des fleurs, des bougies, des drapés, de la livrée des serviteurs, du tapis de la cathédrale, de sa robe... Comme s'il en avait la moindre idée ! Comme s'il s'en souciait le moins du monde ! De plus, elle avait en fait déjà décidé de tout, simplement, elle voulait l'obliger à prendre la mesure de son engagement. Alors il s'exécutait en démontrant des océans de patience, se refusant à lui faire le plaisir de perdre son calme. Qui inviter, que manger, en quelle quantité, à qui confier l'animation de la soirée, quelles danses dans quel ordre, tout passait par lui. Sans doute aurait-il dû se montrer reconnaissant d'être à ce point impliqué dans les festivités. La réalité était qu'il n'avait qu'une envie : mettre un maximum de distance entre lui et le palais, dès que ce serait possible.

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