141. Révolution, enfin

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Marchant dans l'herbe blanchie par le givre, les Trenans frémissaient dans l'air froid. Les oriflammes bénétnashiens claquaient encore sur les remparts, coiffant la porte nord. Pourtant, les gardes devaient les avoir vus approcher, désormais. Accaparés par le spectacle d'une armée en marche, sans doute surveilleraient-ils moins leurs arrières, permettant aux citadins de les prendre d'assaut. Si ce Galaad avait réussi quelque chose, bien évidemment. 

Puis un point sombre se dessina dans l'espace au dessus de la ville, grossissant à vue d'œil, venant droit sur eux. Un instant, ils crurent au projectile d'une catapulte, mais ils étaient hors de portée. Un aigle gigantesque. Un dragon rescapé. Probablement un griffon, en réalité. Autour d'Iphigénie, les archers se raidirent, et plusieurs préparèrent leurs flèches. Jack mit la main en visière et siffla.

« Ma mie, il faut que tu me pinces. » dit-il à mi-voix.

Iphigénie scrutait elle aussi l'immensité bleue du ciel et la silhouette improbable qui s'y dessinait.

« Je crains que cela n'altère en rien ta vision... murmura-t-elle.

— Rappelle-moi de ne plus jamais invoquer le nom de la Carne Céleste en vain... souffla le bandit de grand chemin.

— Rappelle-moi d'y croire, désormais. » répondit-elle.

Elle se tourna vers ses hommes.

« Ne tirez pas ! » cria-t-elle et son ordre se répercuta de proche en proche le long de la ligne de front.

Le cheval ailé descendit vers eux, majestueux, et l'amazone sourit, émue, lorsqu'il s'immobilisa sous leurs yeux, à quelques mètres du sol, triomphant, son cavalier sur le dos. Une main dans les crins de l'animal, l'autre sur le manche de son épée blanche, Dimitri ne dit rien. La vision suffit. Elle sentit Jack se tendre, comme s'il s'embrasait, mais il ne broncha pas non plus. Puis Al Feratz hennit, vira, et repartit vers l'ouest. Un soupir s'échappa de la bouche de chacun, comme tous les souffles retenus se libéraient, mais pas une parole ne s'échangea. Personne n'avait les mots pour le dire. Sans plus attendre, les Trenans déferlèrent sur la plaine et Iphigénie se promit d'ériger un temple au Dieu des Gérébrans, quelque part dans sa nouvelle Kursha Tren.

La plaine défilait si vite et Dimitri n'avait aucun contrôle sur le Cheval Ailé, qui virevoltait d'un endroit à un autre, déterminé, stratège, galvanisant les uns et les autres, sûr de lui, éternel. Pas qu'il ait désiré imposer quoi que ce soit au Dieu. S'il en avait eu l'opportunité, il lui aurait suggéré de faire monter quelqu'un d'autre, mais il était trop tard pour ça. Alors qu'on se battait, il se contenterait de planer.

***

Les yeux écarquillés, stupéfait, ému même, Galaad avait regardé Al Feratz s'élever et derrière lui, la foule s'était métamorphosée. Il suffisait de peu de choses, en somme. Une apparition sur la neige, une lumière, un espoir. 

Sans plus attendre, porté par la présence d'une force dont il n'avait aucune maîtrise, dont il ne prenait pas la mesure, il fit signe à son groupe de se mettre en route, et ils s'élancèrent dans les rues de la cité, prêts à en découdre, avec n'importe qui, n'importe quoi, les flèches comme les épées. Un peu moins de deux cents, ils avaient le parcours le plus difficile à accomplir, car ils devraient passer non loin de la citadelle, dans des quartiers qui promettaient de grouiller de soldats bénétnashiens. 

Avant de quitter la place du Poulpe, il jeta un œil en arrière et aperçut Galehaut, meneur malgré lui de l'attaque sur la porte nord. Son ami croisa son regard et ils se firent signe, encore un peu tremblants, bien qu'Al Feratz soit désormais quelque part entre deux nuages. Il n'était plus temps de réfléchir, juste d'agir, et se détournant, il se mit à courir. 

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