127. Ultimes respirations

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Assise sur une branche basse, Iphigénie regardait les deux grands mâles s'affronter. L'un et l'autre avaient le regard fier et vif, des mouvements précis et une détermination à toute épreuve. Leurs pas soulevaient la neige en gerbes blanches, mais ils ne trébuchaient pas et leurs souffles s'élevaient vers le ciel, fragments de vie, perdus à tout jamais. 

Fracas, choc des corps qui se heurtent, quand l'un avance, l'autre recule, et le bruit de leur affrontement se répercute sur les troncs noirs. 

Le grand roux était plus fort et plus âgé que le brun, plus sûr de lui aussi, toujours le premier à prendre l'offensive. Mais il s'épuisait car le brun était plus rapide, plus léger, plus rusé, et ses coups portaient plus souvent, faisant reculer son adversaire. La neige piétinée devenait boue, maculant leurs corps de mouchetures sombres, mais aucun des deux ne rompait le combat. Ils s'écartèrent un instant, se toisant, essoufflés, et leurs regards brillaient d'une petite lueur de défi.

Iphigénie sourit. Finalement, il n'y avait pas grande différence entre deux dix cors qui se heurtent et deux chevaliers à l'entraînement. Cette fois, cependant, elle n'avait pas l'intention de tirer le perdant. Elle pariait sur Jack et avec sa déplorable hygiène de vie, il n'était certainement pas comestible.

L'épée blanche que Dimitri avait adoptée était une arme redoutable, comme ils l'avaient constaté la veille lorsqu'il avait par inadvertance réduit en miettes le bouclier que Rodrigue avait utilisé pour s'en protéger. Les deux amis étaient restés pétrifiés au milieu des éclats de bois et l'amiral avait demandé qu'on promette de s'occuper de sa progéniture, pour l'heure inexistante, s'il venait à être décapité par le général. 

A présent, Dimitri était beaucoup plus prudent, et comme il maîtrisait parfaitement ses mouvements, le risque était réduit. Jack avait cependant préféré qu'ils se battent en armure complète. Ils avaient juste renoncé aux heaumes, histoire de pouvoir discuter plus facilement de ce qu'ils entreprenaient. 

En réalité, c'était une excuse pour se lancer des regards bravaches, parce qu'ils n'échangeaient aucun mot. Jack était bien trop fatigué pour articuler quoi que ce soit, et Dimitri prenait un malin plaisir à le toiser sans rien dire. Et le brigand avait le tempérament idéal pour succomber à ce type de provocation. Il ne se laissait pas récupérer quand Dimitri lui en offrait l'opportunité, trop pressé de faire ravaler sa superbe à ce petit prétentieux. 

Mais le général était en bonne santé, entraîné, un homme de guerre qui ne se laissait pas aller à la bombance, qui veillait à garder son organisme au meilleur niveau, chaque jour. Jack était un bon vivant tonitruant qui, s'il était un cavalier hors pair, ne rencontrait pas assez d'adversaires à sa taille pour se soucier d'être en pleine forme. 

Résultat des courses, face au brun, le grand roux allait chuter tôt ou tard. Avec le sourire, mais l'honneur blessé. Iphigénie aurait été Dimitri, elle se serait méfiée : le bandit le lui rendrait tôt ou tard, sans doute en trichant aux cartes, quand ils se détendraient dans la soirée.

Comme pour donner raison à la Trenanne, Dimitri évita une nouvelle charge et donna un coup de pommeau droit dans les omoplates de son adversaire, ce qui l'envoya valdinguer dans la neige. Iphigénie ne put s'empêcher d'applaudir et le général la gratifia d'une petite courbette. Décidément, il avait bel et bien changé : jamais il ne se serait permis ce genre de familiarités auparavant. Jack par contre se releva en bougonnant et vint se planter droit devant elle, ses yeux bleus lançant des éclairs. Il était très mauvais perdant.

« Félonne... grommela-t-il. Tu pourrais au moins agiter le fanion de ta cité !

— Tu n'es plus trenan pour très longtemps, Jack. Je dois me préparer à ton départ. » répondit-elle sans se laisser impressionner.

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