Chapitre 10 Une famille de son temps

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Wilmington. Avril.

La famille de Jane n'était pas de tout repos, loin de là.

M. George Bennet, grand échalas sec et mal coiffé, professeur d'histoire et botaniste amateur, quand il ne donnait pas de cours au lycée de Wilmington, passait le plus clair de son temps dans les livres, ou en vadrouille, dans les forêts alentours. C'était un homme tête en l'air, mais extrêmement instruit, qui ne faisait pas grand cas de son environnement familial, ou professionnel. On disait de lui « qu'il était souvent ailleurs ». Ailleurs, définissant son esprit brillant et foisonnant, bien sûr.

Mme Milliscent Bennet, petite blonde aux rondeurs affriolantes, ne travaillait pas, dans le sens où elle n'avait pas de salaire pour toutes les tâches qu'elle accomplissait pourtant chaque jour. Autant dire qu'elle était l'esclave de son foyer. Sort qu'elle s'était résignée à accepter avec le temps, car il était évident à ses yeux, qu'elle était en grande partie responsable de cette situation.

Elle avait eu peu d'ambitions à la fin du lycée et avait traîné sa peine pendant quelques longues années, à regretter de n'avoir pas plus étudié pour intégrer une fac comme ses amies. Elle était restée auprès de ses parents qui tenaient un superstore, et se soumettait à l'avenir d'« héritière » que lui conférait l'unique possession familiale.

Elle avait eu quelques petits-amis, mais rien de sérieux. Jusqu'à ce qu'elle se retrouve enceinte de Jane, après avoir batifolé un peu trop passionnément avec l'étudiant charmant qui travaillait l'été pour son père dans la boutique : M. George Bennet, lui-même. C'est que Mme Bennet avait été très séduisante, et bien plus abordable que certaines fleurs plus rares de la région.

Le couple n'était pas des mieux assortis. Néanmoins, si M. Bennet avait dû apprendre à aimer son épouse après un mariage hâtif, il n'avait jamais cessé de la désirer de manière égale. En d'autres termes, M. Bennet pouvait paraître indifférent au charme de sa femme, mais ne l'était qu'en apparence.

Quant à Mme Bennet, elle avait été amoureuse. Puis ça lui était passé. À présent, elle vivait aux côtés d'un homme qu'elle respectait et qui lui laissait la direction du ménage sans jamais la gêner, ni la contrecarrer. Certaines femmes s'en seraient trouver contrariées, prétextant qu'il ne faisait rien. Pas Milliscent Bennet. Elle appréciait sa liberté et savait compter sur son époux pour la soutenir au besoin. Ce qui, il fallait le reconnaître, n'arrivait que fort peu.

Qu'importait. Milliscent avait déjà bien assez à faire avec ses filles pour ne pas, en plus, s'interroger sur les bienfaits du partage des tâches et l'assouplissement de la charge mentale qu'elle subissait en tant qu'épouse.

Jane avait précédé le mariage. Elizabeth l'avait suivi. Puis Mary, Catherine et enfin, la dernière, mais pas la plus sage du lot, Lydia, avaient pointé le bout de leur joli museau. Cette ribambelle de filles avait fini par décourager M. Bennet d'avoir enfin un garçon. Il s'était fait une raison et avait décidé qu'il serait préférable de s'arrêter là. À 39 ans, il avait estimé avoir assez donné de sa personne pour la pérennité de l'espèce.

Mme Bennet avait reçu cette nouvelle, d'abord comme un affront, mais finalement, harassée par ses journées - Cinq filles ne s'élevaient pas seules -, elle s'était avouée vaincue et avait approuvé la décision de son époux. Par la suite, leurs ébats avaient été stériles, mais non moins agréables.

Les sœurs Bennet, respectivement âgées de 25, 24, 22, 20 et 16 ans, étaient toutes dotées d'un caractère très différent. À croire que Mme Bennet avait conçu ses enfants dans des moules uniques et non réutilisables ! Il existait bien une connivence entre les cinq jeunes femmes, notamment quand l'une d'entre elle était menacée, mais elles n'étaient pas spécialement soudées le reste du temps.

Jane et Elizabeth étaient très proches, certes, mais à l'opposé question caractère. Mary, la plus solitaire, était un élément pivot, central, mais quelque peu rebelle, avant le second duo composé de Catherine et Lydia, deux plus ou moins parfaites copies de leur mère au même âge. Lydia étant bien plus délurée que Catherine.

Les sœurs Bennet avaient des ambitions, des goûts, des rêves et des existences en relation avec leur temps, mais pas toujours corrélés aux espoirs de leur mère qui les imaginaient toutes mariées et pourvues d'enfants. L'idéal d'une époque qui ne leur correspondait pas forcément, notamment à la plus jeune qui cherchait à devenir une star.

Bien qu'indépendantes ou en passe de l'être, trois des quatre sœurs de Jane vivaient dans la demeure familiale. Seule Elizabeth avait eu assez de courage pour suivre les pas de son aînée et avait réussi à se faire sa place à New-York. Mary travaillait pour Corvet & fils à la marina du Réservoir Harriman. Catherine avait réussi à décrocher un poste dans une école privée où elle s'occupait d'enfants entre quatre et cinq ans. Lydia encore à l'école passait son temps entre ses cours, ses devoirs, et des cours de danse et de chant qu'elle payait en partie en faisant de menus travaux pour le voisinage : baby-sitting, tonte des pelouses ou promenade de chien

Bref, une famille assez représentative de son époque.

Aussi quand Jane était rentrée au bercail, le cœur en miettes, et sa valise traînant derrière elle, il y avait eu beaucoup de bras pour l'entourer. Le cocon était en place. Maintenant, à elle d'en sortir transformée.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant