Chapitre 43 Le charmeur de serpent

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New-York. Mai. Elizabeth.

Assise face à Harry Chapman à la terrasse d'un restaurant, Elizabeth sirotait son cocktail en réfléchissant. La journée était particulièrement douce, et elle avait passé un excellent moment avec son amant la nuit dernière dans son appartement. L'absence de Jane avait favorisé le rapprochement dans un espace plus intime que les chambres d'hôtel dont ils se contentaient d'habitude. C'était lui qui avait eu l'idée. Sur le moment, enflammée par ses caresses, Elizabeth ne s'y était pas opposé. Mais maintenant, elle réfléchissait.

La main de Harry effleurant distraitement la peau de son bras, alors qu'il lisait quelque chose sur son écran, n'était-il pas le signe d'une certaine proximité entre eux ? D'une certaine possessivité de sa part ? Deux choses qui ne pouvaient manquer de la plonger dans une profonde réflexion sur la nature de sa relation avec Chapman.

Elizabeth avait jusqu'à présent laissé les choses se faire. Elle n'avait presque rien initié. Elle s'était contentée de voguer. Sauf que si la mer était calme, l'horizon se chargeait dangereusement. Non parce que Harry Chapman avait fait une erreur envers elle, mais plutôt parce qu'il n'en faisait pas. Ce qui, à ses yeux, était suspect.

Il ne lui demandait pas de compte sur sa vie, ni sur ses occupations quand elle n'était pas avec lui, se contentant des résumés ironiques qu'elle pouvait faire. Il s'intéressait à son travail en posant des questions pertinentes qui confirmaient qu'il était attentif à ce qu'elle lui disait. Pire, il se montrait charmant et plein d'attentions quand elle devait s'absenter, comme pour conjurer l'ennui que cela pourrait lui procurer. Il n'allait pas jusqu'à la bombarder de messages, mais il venait aux nouvelles quand il savait qu'elle avait un rendez-vous important ou une rencontre cruciale en vue. En bref, il se comportait comme un charmeur de serpent. Il l'amadouait sans la brusquer. Il posait discrètement des jalons dans sa vie. Ce qui ne l'amenait qu'à une seule conclusion : bientôt, il allait se taper l'incruste. Or, aucun homme ne tapait l'incruste dans sa vie. Jamais.

Elizabeth se tourna vers celui qui avait partagé sa nuit, et maintenant, partageait son repas. Toujours absorbé par son écran, elle put le regarder à loisir sans répondre de cet intérêt soudain pour sa plastique. Il était bel homme. Ça, elle ne pouvait pas le lui enlever. Elle ne pouvait pas non plus le rabaisser intellectuellement. C'était un homme cultivé. Un rien arrogant, et souvent trop sûr de lui. Cette confiance, néanmoins, était une caractéristique inhérente à sa profession, si elle en jugeait par les quelques avocats qu'elle connaissait. Il était également un amant bien plus qu'acceptable, et un charmant compagnon pour toute sorte d'évènement. Alors qu'est-ce qui clochait sinon qu'il avait peut-être l'intention de faire partie de sa vie de manière plus pérenne ?

Elle n'était pas amoureuse de lui. Elle n'éprouvait aucun élan pour sa personne, ne se morfondait pas de son absence, et commençait même à sentir la cage se refermer. Ça n'était pas bon signe.

— Que me vaut cet intérêt soudain pour ma calvitie naissante, Bessy ? demanda-t-il gentiment en continuant de regarder son téléphone.

Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas encore, Elizabeth détesta la façon qu'il avait de l'appeler Bessy. Personne ne l'appelait ainsi. « Lizzie » à la rigueur, mais jusqu'à présent elle n'avait autorisé que sa famille très proche à utiliser ce diminutif. Pour le reste du monde, elle était Elizabeth. E. LI. ZA. BETH. Pas « Beth » et encore moins « Bessy ».

Au lieu de répondre, elle avala la dernière gorgée de son café, ce qui eut pour effet immédiat de faire se relever le visage de Harry qui détecta immédiatement une anomalie dans le comportement de sa maîtresse.

— Je vais aux toilettes et je file. J'ai un rendez-vous, lui dit-elle en rencontrant son regard, non pas étonné, mais cherchant à savoir par quel bout charmer le serpent.

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et sortit de table en attrapant son sac. Il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle disparaisse.

Il était conscient que quelque chose venait d'arriver, mais il n'aurait su identifier exactement le problème. Le fait d'avoir été absorbé par autre chose qu'elle ? Non ! Elizabeth n'était pas si vaniteuse ! Et puis, la connaissant, elle ne se serait pas gênée pour le lui dire. Non, c'était autre chose. Autre chose de plus diffus. Il s'adossa à sa chaise et sourit. Bah ! Peu importait, elle lui mangeait dans la main...

Elizabeth marchait vite. Elle n'avait pourtant aucun rendez-vous, et sa pause déjeuner était loin d'être terminée. Elle s'engouffra dans une bouche de métro et sans vraiment s'orienter, elle monta dans la première rame qui passait. Debout parmi des inconnus pressés de sortir de cet enfer de bruits désagréables et d'odeurs qui l'étaient tout autant, Elizabeth se demanda ce qui lui prenait de fuir ainsi. Elle n'était pas ce genre de personne. Elle ne fuyait pas une bonne rupture. Elle ne fuyait pas les conflits. Mais en cet instant, y avait-il rupture ? Y avait-il conflit ? Non ! Et c'était justement ça le problème...

Pourquoi ce rejet soudain de Harry Chapman ? Les quelques indices qu'elle avait cru voir en étaient-ils vraiment ? Et quand bien même il voudrait bâtir quelque chose de solide avec elle, qu'y avait-il de mal à ça ? Pourquoi ne pouvait-elle pas accepter un amour tel que le sien, si jamais cet amour existait réellement ? Et pourquoi était-elle là, à se poser toutes ces questions au lieu d'éclaircir la situation avec l'intéressé ?

Elle n'était pas amoureuse de lui.

Harry était bien un charmeur de serpent. Il la déboussolait. C'était nouveau et loin d'être agréable. Il fallait d'urgence qu'elle contacte Jane... Non ! Elle n'allait pas l'ennuyer avec ça alors qu'elle-même était sans doute en train de construire la relation d'une vie entière. Non ! Ça attendrait ! Où était l'urgence ? Nulle part ! Enfin si. Elizabeth détestait faire traîner ce genre de chose. Elle aimait les relations claires, et les ruptures franches et nettes.

Alors qu'elle débouchait dans un quartier de New-York où elle n'avait jamais mis les pieds avant, son téléphone tinta pour lui annoncer l'arrivée d'un message qu'elle consulta aussitôt. Tout valait mieux que cette introspection sauvage concernant sa relation avec Chapman. Introspection qui ne semblait mener à rien, en plus.

Elle fut étonnée de voir l'expéditeur. Lydia ? Mais c'est Catherine qui signait le message qui accompagnait la vidéo ? Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Elle s'arrêta au milieu du trottoir, provoquant quelques remarques désagréables de personnes qui ne s'attendait pas à un arrêt brutal de sa part. Elle avisa un banc libre et s'y assit pour visionner la vidéo en toute quiétude.

Et bien sûr, elle ne put retenir un juron sonore.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant