Chapitre 53 Quelqu'un sur qui compter

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Wilmington. Juin. Jane.

Les sœurs avaient emprunté la carriole qui servait à promener les plus jeunes enfants du centre équestre lors de fêtes locales. Elles s'étaient promenées sur le sentier principal sans problème, jusqu'à atteindre la corniche. Le temps était doux et l'air embaumait la résine.

— Je crois que tu vas devoir en parler au psy, dit alors Elizabeth qui, ne sachant comment aborder le problème de la veille, choisit la manière frontale comme d'habitude.

— Je sais. Mais c'est tellement stupide...

— Ça n'est pas stupide, Jane. Tu as failli mourir. D'autres sont morts. Chacun réagit à sa manière aux drames. Toi, tu as choisi de psychoter pour tes sœurs. C'est malheureux. Surtout avec les tiennes. Entre moi, qui compte continuer à me déplacer en moto. Lydia qui n'en fait qu'à sa tête. Kitty capable de se perdre dans un centre commercial. Et Mary qui a choisi un boulot potentiellement dangereux... Tu n'as pas fini... Sincèrement, tu aurais dû te prendre un autre sujet d'inquiétude. Ça aurait été moins épuisant.

Jane sourit à la répartie de sa sœur.

— Tu es bête.

— Oui, aussi. Mais moi, je ne me mouche pas dans ma manche !

— Moi non plus ?!

— On reparle de la soirée d'hier ou tu préfères qu'on la range avec tous tes moments honteux ?

— Mes moments honteux ! Comme si j'étais la fille la plus inapte à...

— Hé ! Je peux en citer au moins trois.

— Et toi ? Tu ne caches rien sous le tapis, peut-être ?!

— Moi, je n'ai honte de rien.

— C'est ça... Attends voir, comment il s'appelait déjà ? Miles ! Oui, Miles !

— Miles n'est pas dans la catégorie « honte », il est dans la catégorie « regret absolu »

— « Regret absolu » ! Ça existe au moins cette catégorie ?

— Je l'ai créée pour Miles.

— Tu es impossible ! lança Jane en riant.

— Je sais. On me le dit tout le temps.

— « On » te le dit ? Qui c'est ce « on » ? C'est le même « on » qui t'as mise en retard hier ?

— Ne t'emballe pas ! Je parle de mes collègues. Et j'étais en retard parce que je n'ai pas pu bomber à cause de la pluie.

— La pluie a bon dos, je trouve...

— On était en train de parler de toi, je te signale.

Jane allait répondre quand elle entendit distinctement le bruit d'un autre cavalier en approche. Elle se tourna pour apercevoir Charles et Olympus arriver tranquillement par le sentier. Le cœur de la jeune femme fit aussitôt un bond dans sa poitrine.

— Et bien, je vois où vont tes préférences... lâcha Elizabeth avec un petit sourire devant le visage rayonnant de sa sœur. On dirait une prisonnière qu'un chevalier vient délivrer...

— N'importe quoi, murmura Jane en faisant les gros yeux à sa sœur qui éclata de rire aussitôt.

— Bonjour mesdemoiselles. Je suis extrêmement content de vous voir, dit Charles quand il fut près d'elles.

— Enfin surtout Jane, je suppose. On ne va pas se mentir, répliqua Elizabeth en souriant toujours.

— En effet, surtout Jane, on ne va pas se mentir, Elizabeth.

La seconde sœur hocha la tête avec un petit sourire en coin.

— Allez ! Je cède ma place ! Olympus, je te ramène, nous ne sommes pas les bienvenus, mon grand, dit-elle en s'adressant au cheval dont Charles lui avait passé les rênes pour monter dans la carriole près de Jane.

Elizabeth monta sur le dos de l'animal, mais pas sans lancer une dernière salve.

— Et pas de cochonneries en plein air, même si l'air est doux ! Y'a des gosses en stage équestre en balade aujourd'hui !

— Elizabeth ! s'écria Jane indignée.

— Ne fais pas cette tête outrée, Jane ! Je te connais ! Quand tu ne psychotes pas pour tes sœurs, tu ne penses qu'à ça ! lança Elizabeth en partant au trot.

Charles trouva la coloration des joues de sa bien-aimée des plus agréables. Il l'enlaça avant de l'embrasser.

— Alors, comme ça, tu ne penses qu'à ça ? murmura-t-il à son oreille.

Il avait entendu parler du « non-incident » de la veille au soir dans la maison Bennet. Mme Bennet, elle-même, l'en avait informé pour qu'il fasse ce qu'il fallait pour aider sa fille à retrouver un semblant d'équilibre mental.

— N'importe quoi... répliqua-t-elle tout en se serrant contre lui.

— Moi aussi, tu sais... Mais je ne voudrais pas te casser encore plus.

— On pourrait quand même essayer, soupira Jane qui rêvait de Charles toutes les nuits quand elle ne cauchemardait pas sur la mort des siens.

— Oui, mais pas ici...

***

Le plâtre était gênant. Les autres blessures aussi. Mais rien n'aurait pu empêcher Jane de profiter des caresses de son amant. En fait, cet exercice à haut risque était même salvateur. Il lui faisait oublier ses peurs et ses souffrances. Il focalisait son esprit tourmenté sur le plaisir ressenti. Charles était doux, mais ne lui laissait aucun répit. Il était souffles et caresses. Il était baisers et frôlements. Il lui rappelait que le corps pouvait être autre chose qu'une source de douleur.

Jane était cassée. C'était vrai. Jane était cassée, mais pas irrémédiablement. Elle pouvait parfaitement être réparée. Charles faisait partie du processus. Il n'en avait peut-être pas conscience. Elle le lui dirait en temps voulu. Quand elle serait autre chose que frémissements et gémissements. Quand l'onde de jouissance qui montait la laisserait sur le rivage, épanouie, heureuse.

***

Pour Jane, Charles était prêt à tout. Il voulait lui montrer qu'il pouvait offrir plus qu'elle n'imaginait, qu'il était prêt à donner sans rien recevoir. Mais, même ainsi, offerte sans pouvoir vraiment agir, Jane donnait en retour, car son visage exprimait tant son plaisir qu'il en ressentait aussi, alors même qu'il bandait sans oser se soulager.

Charles aimait Jane comme il n'avait jamais aimé aucune autre femme. Il n'aurait jamais agi comme il le faisait pour Julia ou Gloria, ni même pour Riley. Il n'aurait jamais pris sur lui de cette manière pour aucune de ses ex. Il devait lui faire comprendre, parce qu'il ne voulait pas la perdre. En fait, il voulait en faire sa femme le plus tôt possible. Il la voulait à ses côtés pour toujours.

Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant