Chapitre 71 Irritations et coups de gueule

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New-York. Hiver. Elizabeth.

Elizabeth n'allait pas bien. C'était déjà arrivé. Personne ne possédait la capacité de toujours être de bonne humeur et joyeux. D'ailleurs cette capacité n'existait pas. L'être humain avait une propension innée à se créer des emmerdes en tout genre ou à subir celles que la vie et le hasard avaient la malencontreuse habitude de semer sur son chemin. C'était ainsi.

Elizabeth était donc chafouine. Elle avançait environnée d'une brume d'irritation qui ne la lâchait pas. Le matin même, sur le trajet vers Secrets Stories, elle avait failli se retrouver encastrée dans un SUV, dont le conducteur ne l'avait même pas calculée. Parce que les rétroviseurs, c'est bien connu, c'est comme le clignotant, ça ne servait qu'aux cons.

Au travail, déjà bien remontée, elle avait été particulièrement injuste avec ses collaborateurs qui, depuis l'accouchement de Shana, devaient produire la même quantité de travail, mais avec un élément en moins.

Le pire, c'était qu'Elizabeth savait pertinemment qu'elle était injuste. Mais rien n'y faisait. L'irritation était comme une démangeaison impossible à oublier, et tout aussi inaccessible. Elle avait besoin de faire ses griffes, et toute personne susceptible de la contrarier en était pour ses frais.

Bien sûr, Elizabeth connaissait exactement ce qui était à l'origine de cette irritabilité insupportable. Cependant, contrairement à l'adage qui voulait qu'une fois le nœud du problème trouvé, il était plus facile de le solutionner, savoir ne résolvait rien. Bien au contraire. Ça la rendait encore plus furieuse. Contre elle-même, notamment, parce qu'elle ne parvenait pas à surmonter sa contrariété.

Qu'elle était loin la sérénité d'esprit qu'elle avait cru ancrer en Nouvelle-Zélande ! Loin et factice. Elizabeth s'était laissée piéger sans rien anticiper. Elle n'avait pas vu le danger. Ou trop tard. Et ça, c'était bien le plus contrariant.

Elle avait sincèrement cru qu'en assouvissant sa pulsion physique envers Darcy, elle épuiserait le filon. Mais quelque chose d'autre s'était passé. Quelque chose qu'elle ne pouvait autoriser avec un tel homme. Parce qu'elle avait beau découvrir de nouvelles facettes de sa personnalité, en apprendre plus sur lui, sur son passé, elle refusait de croire que sa première impression de lui n'était pas la bonne. Il avait été désagréable, méprisant, obtus et arrogant. Son attirance physique n'aurait pas dû déboucher sur autre chose qu'une lassitude comme à l'accoutumé.

Et maintenant qu'elle sentait les mâchoires de cette attraction sentimentale contre nature l'enserrer, Darcy la délaissait. Mépris. Arrogance. Encore. Comment avait-elle pu être aussi stupide ! Il avait ruiné sa soirée de la veille et assombri son horizon avec une excuse bidon. Elle voyait clair dans son jeu. Il allait pouvoir se vanter d'avoir « sauté » Elizabeth Bennet, avant de la jeter comme un vieux linge sale. Elle voyait la rivalité avec Chapman sous un autre jour à présent. Elizabeth détestait Fitzwilliam Darcy. C'était dit.

***

Elizabeth entra avec détermination dans la salle de réunion. Nick cessa de sourire aussitôt. L'œil interrogateur et le sourcil froncé, il fixa son attention sur sa collègue en se gardant bien de faire une remarque. Tom Beaver, responsable marketing, ne fut pas aussi clairvoyant.

— J'en connais une qui a vu les anglais débarquer...

— Parce que vous croyez qu'avoir mes règles est la seule source d'irritation possible pour moi ?! Sincèrement, M. Beaver. Quand on est obligé de se taper votre sourire surfait et vos remarques sexistes au moins une fois par jour, les sources d'irritations ne manquent pas, je vous assure !

Le sourire de Tom disparut avec un temps de retard comme si l'information contenu dans les paroles de la jeune femme n'était pas arrivée au cerveau aussi rapidement que prévu. Ce qui, en soit, n'étonna guère Elizabeth.

Tom n'était pas une lumière. Il devait son poste à des affinités totalement assumées avec un des patrons. Le travail était fait par ses subordonnés. Toutefois, il avait deux atouts non négligeables : une belle gueule, et une confiance absolue en sa réussite en toute chose. C'était suffisant pour faire de lui un responsable marketing correct et apprécié de ses supérieurs et des clients.

— Elizabeth ? Il y a un problème ?

— Bien sûr qu'il y a un problème ! Elle vient de m'insulter ouvertement ! s'exclama Tom en regardant ses deux collègues, comme une diva outragée.

— Tom...

— Quoi ?!

— Ta remarque était déplacée.

— Mais pas la sienne ?

— La sienne suggère qu'il pourrait y avoir harcèlement... Tu veux vraiment poursuivre cet échange ?

Tom Beaver se rencogna dans sa chaise en faisant la gueule. Les bras croisés sur la poitrine, il n'ajouta rien. Puis au bout de quelques secondes, il se leva et quitta la pièce sans un mot.

— Et merde, soupira Nick.

— On travaillera plus vite sans lui.

— C'est ça. Et après, quand il aura les esquisses, il s'arrangera pour faire des remarques et les patrons demanderont de tout changer. Je te signale, au cas où tu l'aurais oublié, qu'il est le neveu de l'un des patrons de Secret Stories.

Elizabeth haussa les épaules en ouvrant son classeur pour disposer les esquisses de la future collection printemps/été.

— Elizabeth. Il faut que tu rattrapes le coup.

— Et tu suggères quoi ? Une petite pipe sous son bureau ou un coup vite fait dessus ?

— Elizabeth ?! Mais qu'est-ce qui te prend ?

— Il me prend que j'en ai marre de tous ces mecs arrogants et sexistes ! Pourquoi, je devrais arranger le coup ? Ce que j'ai dit est vrai ! Je ne suis pas la seule à détester les remarques déplacées de Tom Beaver !

— Et donc, pour régler le problème, tu sabordes ton boulot ?

— Je ne saborde rien du tout.

— Parce que tu crois que si la direction doit choisir entre toi et Tom, ils te choisiront ? Personne n'est indispensable, Elizabeth, crois-moi. Le népotisme triomphe toujours.

Elizabeth fixa Nick un instant sans broncher. Elle aimait beaucoup son travail. Elle savait aussi qu'elle avait beaucoup de chance d'avoir un tel poste à son âge. Elle aurait pu penser qu'elle ne le devait qu'à son travail et sa créativité, mais au fond, elle savait aussi que son physique et sa personnalité avaient joué en sa faveur. En gros, elle avait le profil de l'emploi. Tout comme Tom avait celui du sien, en quelque sorte.

— Merde ! lança-t-elle en tapant sur la table pour se relever.

— Assieds-toi, Elizabeth. Je t'ai vue hurler après Paul et Kelly ce matin... C'est quoi le problème ?

— Et depuis quand tu es psy, Nick ?

— Depuis que j'ai foutu mon couple en l'air pour un coup d'un soir.

— C'était il y a deux ans, Nick. Je croyais que tu t'en étais remis.

— Je m'en suis remis. Mais pas seul. Maintenant revenons à toi, veux-tu. Je suis ton aîné de cinq ans, tu me dois le respect dû à mon « grand » âge et à la sagesse qui est la mienne. J'espère que tes humeurs ne sont pas la conséquence d'une mauvaise rencontre.

— Ta grande sagesse, hein ?! Je n'ai pas fait de « mauvaise » rencontre. J'ai rencontré quelqu'un qui se révèle être insupportable.

— Il ne te frappe pas, au moins ?

— Il ne manquerait plus que ça ! De toute façon, c'est fini entre nous.

— Et il est au courant ?

— Mais tu as raison ! s'exclama-t-elle. Il ne m'a encore... Je vais le coiffer au poteau ! Tu es un génie, Nick !

— Mais de quoi tu parles ?

— Rien, rien. C'est bon. Je vais m'excuser auprès de Beaver et je reviens, dit la jeune femme tout en pianotant sur son smartphone.

Fitzwilliam Darcy ne pourrait pas fanfaronner auprès de tous ses petits camarades avocats. Elle allait le réduire en miettes avant qu'il envisage même l'idée. Foi d'Elizabeth Bennet.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant