Chapitre 95 Un long dimanche de printemps

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Wilmington. Printemps. Catherine.

Mulche sur les talons, Tim sautillait sur le chemin devant eux. Son petit sac-à-dos d'explorateur, qui contenait sa gourde et des biscuits, battait dans son dos. De temps à autre, il stoppait net, attrapait ses jumelles, qui pendaient à son cou, et pointait quelque chose du doigt, que M. Bennet, placé juste derrière lui, s'empressait de regarder à son tour avec ses propres jumelles. Mulche, quant à lui, aussi silencieux que son maître, venait alors s'asseoir à ses pieds le temps de l'observation. Une simple caresse le faisait repartir en exploration.

Derrière eux, Catherine et Andrew Preston marchaient d'un pas tranquille, mais en silence. Aucun des deux ne s'attendait à ce que la promenade prenne cette tournure.

Au départ, M. Bennet avait un peu rechigné, mais sous l'impulsion de sa femme, il avait finalement cédé. Catherine ne demandait jamais rien à personne. Il pouvait bien faire l'effort de consacrer quelques heures de son dimanche à une promenade en forêt avec M. Preston et son fils.

Il avait échangé quelques mots avec le père en arrivant, mais c'est surtout avec le fils qu'il avait immédiatement eut un lien. Il n'avait pas mis longtemps à apprécier ce petit garçon silencieux qui semblait attiré par les mêmes choses que lui. Et bien qu'il ne s'exprimât qu'avec ses mains, Georges Bennet était arrivé à le comprendre. Il formait un duo improbable, mais efficace, laissant Andrew et Catherine seuls, sans autre possibilité que de cheminer ensemble côte à côte.

Pensant que M. Preston préférait sans doute se promener en silence comme son propre père quand elle l'accompagnait, Catherine avait laissé la conversation polie, mais sans grand intérêt engagée à leur arrivée – oui, il faisait un temps magnifique, ils avaient de la chance -, mourir d'elle-même.

Le silence ne la dérangeait pas. Ce qui n'était pas le cas de M. Preston en cet instant, contrairement à ce qu'elle imaginait de lui.

La proximité de Catherine sur un temps aussi long, était une vraie torture pour lui. Il s'était toujours astreint à ne la voir que quelques instants. Ça lui permettait de se rassurer sur sa force morale et de tenir les résolutions qu'il s'était imposé la concernant. C'est-à-dire, ne pas lui montrer son attirance pour elle, et ne surtout pas lui avouer son amour.

Ce dimanche après-midi qui ne venait que de commencer lui paraissait déjà interminablement long. Il en était à espérer une averse soudaine, alors que le temps était magnifique.

— Je crois que Tim apprécie votre père, dit-il finalement pour combler ce silence qui, pour une fois, lui pesait.

— En effet. Et la réciproque est aussi vraie. Mais je n'avais aucun doute sur le fait que mon père apprécierait Tim. Un garçon silencieux qui s'extasie des mêmes choses que lui ne pouvait que le ravir. Ça le change de toutes ces femmes bruyantes qui vivent autour de lui.

— Bruyantes ?

— Bien que je fasse partie du lot, je suis assez réaliste sur ma famille. Ma mère, mes sœurs et moi sommes un microbiote hyperactif et en perpétuel mouvement générant un brouhaha épuisant pour quelqu'un comme mon père.

— Un homme posé, roi d'une cour de femmes.

— Un rêveur passionné, environné de mégères.

— Vous êtes dures avec vous-mêmes et vos sœurs ?

— Vous ne les connaissez pas.

— Mais je vous connais, vous. Et j'ai du mal à croire que vos sœurs ou votre mère soient si différentes de vous.

— Vous ne les connaissez vraiment pas ! rit alors Catherine.

— À ce point-là ?

— Imaginez dans la même pièce une belle indécise amoureuse, une dur-à-cuire obstinée, une rebelle contrariante, une tête-en-l'air naïve, une beauté autocentrée et égoïste. Ajouté une mère poule un rien hystérique parfois...

— Seriez-vous « belle indécise amoureuse » ? demanda Andrew en dissimulant l'appréhension qui venait de naître en lui.

Il n'avait jamais songé que Catherine eut pu être amoureuse d'un autre, ni même qu'elle ait déjà un homme dans sa vie...

— Moi ? Non ! La « tête-en-l'air naïve » bien plus sûrement. Mon père vous dirait sans doute que je suis la moins bruyante de toutes, mais tout de même.

Andrew ne répondit rien. Bien que la réponse de la jeune femme ne soit pas très explicite quant à sa situation amoureuse, il ne pouvait s'empêcher de ressentir un certain soulagement. Il sourit donc, aussi bien parce qu'il trouvait le tableau de famille brossé par Catherine amusant, que parce que le stupide espoir d'aimer et d'être aimé en retour qu'il tentait de se cacher, frétillait de plaisir.

Catherine avait un humour pince-sans-rire qui lui plaisait. Un point de plus en sa faveur. Mais avait-elle un seul défaut à ses yeux ? Force était de reconnaître qu'Andrew ne lui en trouvait aucun pour le moment.

— Moi qui pensais que je ne parviendrais pas à vous dérider aujourd'hui... dit alors doucement Catherine comme à elle-même.

— Avais-je l'air si contrarié ? demanda Andrew étonné.

— Non. Pas contrarié. Soucieux. J'ai failli vous proposer de reporter cette promenade quand nous sommes arrivés avec mon père.

— Tim ne vous l'aurait pas permis.

— J'aurais proposé autre chose à votre fils.

— C'est moi qui ne l'aurais pas permis dans ce cas, s'entendit dire Andrew Preston.

Catherine ne répondit rien, mais le regarda un instant avec un sourire dans les yeux et sur les lèvres. Andrew eut la brève sensation qu'un soleil venait réchauffer son cœur. Conscient de son trouble, et peu désireux de se trahir – mais il était trop tard, même s'il n'en savait rien encore -, il reporta son attention sur Tim et M. Bennet qui discutait près d'un arbre en regardant en l'air.

— Je crois qu'ils ont trouvé quelque chose. Si nous allions voir ça de plus près ?

— Bien sûr, répondit Catherine en s'engageant hors du chemin.

Bien que chaussée de baskets, la jeune femme sentit que le sol sous ses pieds était bien moins stable que prévu. Entraînée par son élan, elle tenta de revenir en arrière, mais ne parvint qu'à se déséquilibrer un peu plus. Son corps prit la tangente sans qu'elle ne puisse plus éviter la chute... Jusqu'à ce que deux bras la retiennent vigoureusement en la plaquant contre un corps chaud et ferme.

Pendant un instant qui leur parut une éternité, Catherine et Andrew se retrouvèrent collés l'un à l'autre, le visage à quelques centimètres, les yeux dans les yeux. Catherine ne put réprimer son envie qu'il l'embrasse en cet instant précis. Elle raffermit sa prise sur le revers de sa veste, tandis qu'Andrew sentait qu'il était en train de perdre sa lutte contre sa propre envie de l'embrasser passionnément.

Un appel brisa l'étreinte magique. La jeune femme vira pivoine presque immédiatement, alors que le veuf se détachait d'elle doucement en se raclant la gorge. Tim et M. Bennet avaient effectivement trouvé quelque chose.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant