Chapitre 56 Soirées ratées

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New-York. Juillet. Elizabeth.

La chaleur était étouffante et accablait chacun avec constance. La ville miroitait comme le désert, et le bitume fondait par endroit. Les climatiseurs des bâtiments vrombissaient à l'unisson de ceux des voitures qui continuaient à circuler en paquets compacts et menaçants. Central Park était envahi de ceux qui n'avaient ni la chance, ni la possibilité de se réfugier sur un bout de côte : touristes, travailleurs en pause, enfants désœuvrés et parents désespérés.

Dans cette folie caniculaire, Elizabeth marchait d'un bon pas en prenant soin de rester dans l'ombre des arbres le long du trottoir. Elle était aux anges et souriait. Son maillot de bain, sorti juste avant l'été, était une réussite commerciale et professionnelle. Il avait été choisi par plusieurs magazines féminins pour faire la couverture et se vendait comme des petits pains. Les patrons de Secrets Stories étaient ravis. Ils attendaient qu'elle face aussi bien avec la gamme d'hiver. Ensemble top et culottes pour skier en beauté... et tout le tralala. Elle avait des tas d'idées.

En attendant de tout sortir de sa petite caboche bouclée, il fallait prévoir la vente de ce maillot tout au long de l'hiver dans les pays de l'hémisphère sud. Les réunions avaient été productives et annonçaient des partenariats intéressants. Les patrons avaient décidé de finir en beauté. Elle devait donc s'assurer que cette soirée pour les partenaires étrangers, organisée plus ou moins à la dernière minute, se passeraient bien.

C'était uniquement pour cette raison qu'elle n'était pas dans son bureau climatisé, mais en train de suer sang et eau dans cette foutue rue... mais le sourire aux lèvres. Les embouteillages l'avaient forcée à se rendre à pied chez le traiteur. Elle devait vérifier qu'aucun petit four ne contienne quelques substances bien précises. Plusieurs convives avaient donné des précisions concernant leur régime alimentaire. C'était pénible, mais elle ne pouvait pas se contenter de leur dire de ne toucher que ce qui paraîtrait conforme à ce qu'ils pouvaient manger. Ça ne se faisait pas.

Normalement, c'est Shana qui aurait dû se charger de cette tâche, mais elle était de plus en plus proche du terme, et la chaleur était un véritable calvaire pour elle qui avait doublé de volume et souffrait du dos. Quant à Paul et Kelly, ils avaient d'autres priorités non moins pénibles, qui concernaient toutes l'organisation de la soirée. Elizabeth allait donc pinailler chez le traiteur. Mais au moins ce serait climatisé !

Da Silva Flores était un traiteur très côté. Il avait accepté la commande de Secrets Stories parce qu'Elizabeth était « très » amie avec l'une de ses principales clientes : Amalia Baptista-Peña. Quand le patron vit débouler la belle brune, il sut que la commande allait devoir être modifiée, ce qui le contraria. Il n'aimait pas les changements de dernière minute. Dans sa branche ça pouvait vous ruiner un évènement et une réputation.

Pourtant, il accueillit Elizabeth avec un grand sourire comme s'il n'attendait qu'elle. La jeune femme ne fut pas dupe. Elle connaissait la réputation de M. Flores. En fait, tout le monde la connaissait. Ses employés, ses clients, les voisins de la boutique et toute personne ayant le malheur de passer devant sa devanture quand il était mécontent.

M. Flores avait le verbe haut, la critique fleurie et une voix de stentor que n'aurait pas renié un chanteur d'opéra. Ces trois caractéristiques réunies dans une seul homme constituaient à elles seules un danger pour quiconque, se fiant à l'air avenant du monsieur, aurait eu des velléités d'autoritarisme mal placé ou des desiderata face à ses créations culinaires.

Malheureusement pour elle, Elizabeth, même si elle se montrait aimable et souriante, venait pour chipoter. À la dernière minute en plus. Elle savait donc parfaitement à quoi s'attendre. Elle avait donc décidé de jouer à fond la carte de la contrition.

— Mlle Bennet ! Quel plaisir !

— M. Flores ! N'en soyez pas si sûr !

Le pas de deux pouvait commencer.

***

— Ces canapés sont tout simplement divins ! s'exclama une invitée en engouffrant la petite tranche colorée qu'Elizabeth aurait été bien en mal d'identifier.

« Il y a intérêt ! Au prix où Flores nous les facture ! » pensa la jeune femme.

Pour faire plier le traiteur le matin même, elle n'avait eu d'autre choix que de tendre une carotte financière fort avantageuse, préalablement validée par ses patrons. Et miraculeusement, il n'y avait plus eu aucun problème pour fournir, entre autres, ces trucs colorés et « simplement divins ». Flores n'avait pas bien joué cependant, car les patrons d'Elizabeth s'en souviendraient sans aucun doute. Probable qu'il s'en fichait, mais bon, Secrets Stories ne lui ferait pas de pub.

— Elizabeth !

— Paul ?! Que se passe-t-il ? demanda immédiatement la jeune femme en voyant le visage perturbé de son collaborateur.

— Il se passe que notre déesse caribéenne vient de perdre les eaux dans les toilettes du premier étage, murmura-t-il pour qu'aucun invité n'entende.

Secrets Stories comptaient plusieurs employées enceintes, mais la seule déesse caribéenne connue à ce jour entre ces murs était Shana, dont les parents avaient des origines cubaine et portoricaine. Il fallait faire vite.

Pour ne pas le déranger, ni perdre de temps à expliquer la situation à des étrangers, Elizabeth envoya un message au big boss qui était en pleine conversation avec des clients. Puis, elle s'éclipsa avec Paul, nerveux et un rien débordé par la situation. À 30 ans, il était célibataire et n'avait jamais eu à charge aucun être vivant de moins de 15 ans. Il avait donc de quoi ressentir une certaine fébrilité.

***

Il y avait des soirées qu'il valait mieux éviter pour son confort personnel et son bien-être. Fitzwilliam Darcy le savait. Pourtant, lorsque son collègue aux affaires internationales lui avait proposé de venir se rafraîchir au bord d'une piscine sur les hauteurs, il n'avait presque pas hésité. La climatisation des bureaux ne suffisait pas pour rafraîchir toutes ces pièces vitrées, exposées plein sud. Travailler en cette fin de mois de juillet était un réel calvaire.

Sans compter qu'il fallait régulièrement se déplacer en pénétrant le four extérieur pour se rendre dans des endroits encore plus mal logés question rafraîchissement. Ce qui entraînait immanquablement de devoir subir, en plus de l'accablante chaleur, les odeurs inhérentes à toute activité humaine en période de canicule.

Donc, Fitz avait accepté sans réellement réfléchir. Et maintenant, debout près d'une sorte de ficus géant, non loin d'une piscine où plus aucun centimètre carré d'eau n'était disponible, il se disait qu'en plus, la chaleur ramollissait son cerveau, et celui de pas mal de monde à en juger par les débordements divers qu'il pouvait constater depuis son poste d'observation.

Il avala cul sec le contenu du verre qu'il tenait avant de s'en débarrasser en le posant sur le bord du pot de fleur... avec plusieurs autres de ses congénères. Fitz ignorait à qui appartenait les lieux, mais cette personne regretterait sans doute d'avoir ouvert ses portes pour cette soirée. Le désastre était cataclysmique.

N'étant qu'un parmi la multitude, il décida de partir avant qu'un incident grave n'arrive. Il n'avait pas envie de finir sa soirée dans un commissariat étouffant, à répondre à des questions sans intérêt de la part d'un flic amer et fatigué.

Il bifurqua vers l'entrée dès qu'il entra dansle salon et fit de vagues signes à des connaissances qui le voyaient passés. Etpuis, un bras l'arrêta. Un poing l'atteignit brutalement au menton. Et ensuite,ce fut le chaos.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant