Boston. Hiver. Mary.
Du plus loin qu'elle se souvienne, Mary avait toujours trouvé injuste d'être une fille. Enfin, d'être du sexe féminin. Elle voulait être un garçon. Et pas seulement parce qu'elle aurait pu être ce dont son père avait manqué. Elle voulait un corps de garçon. Elle voulait la liberté d'un garçon. Elle voulait la force d'un garçon. Elle voulait l'arrogance d'un garçon.
Et ce, bien avant de comprendre le concept de féminisme. Bien avant de savoir quel genre choisirait d'aimer son cœur. C'était plus une question de latitude et de confiance. C'était aussi une volonté de rester dans l'enfance le plus longtemps possible pour conjurer l'approche de la féminité impossible à éviter. Elle se souvenait avoir pleurer en secret le jour où elle avait eu ses règles pour la première fois. Elle enrageait de colère et de dégoût.
Comment, à 12 ans, souhaiter être une femme quand on comprenait que le sang et la douleur allait accompagner l'existence à jamais ? Quand votre corps ne répondait à aucune des injonctions que vous lui faisiez ? Que cette métamorphose contrainte modifiait durablement la vision des autres et leur comportement à votre égard ? Et qu'on ne lui parle ni de chenille, ni de papillon ! Papillon, mon cul !
Mary avait regimbé en s'écartant des sentiers battus. Dans son enfance, elle avait détesté les robes à fleurs et à volant, les rubans dans les cheveux et les boucles sur commande. Elle n'avait jamais voulu être princesse ou danseuse. Dragon, oui. Dragon et chevalier. Ou samouraï. Elle voulait savoir se battre. Elle voulait pouvoir se battre. Et personne ne s'était réellement opposé à cette volonté. On l'avait laissée faire. Par manque d'intérêt, selon elle, et aussi parce que son caractère n'était « pas facile ».
Bref, il avait fallu qu'elle s'adapte et elle s'était adaptée. On ne parlait pas assez de l'adaptation des jeunes filles. Adaptation. Maître mot pourtant, tout au long de leur existence. Adaptation à un nouveau corps. Adaptation à l'image que la société attend d'elles. Adaptation à l'image à laquelle elles aspirent et qui est si difficile à atteindre. Adaptation à la contrariété, à la douleur, à l'injustice. S'adapter et tenter de s'aimer à défaut de l'être par les autres.
Mary avait été seule, s'était sentie seule, avait souffert de cette solitude, puis s'en était accommodé. Enfin, en apparence. Elle était sensible. Peut-être trop. Et ses révoltes se heurtaient à des obstacles parfois infranchissables. Elle ne déméritait pas pourtant, mais parfois les combats sont illusoires et vains. Finalement, Elle avait préféré enterrer sa sensibilité sous un amas de mensonges et de colère, pendant que son cœur naviguait en eau trouble sans jamais s'ancrer de manière stable, faute de trouver une île suffisamment attractive.
Il aurait suffi d'un rien pour que tout change. Il avait suffi d'un rien.
Après la mission pour les Radescu, Mary avait eu un jour de congé pour récupérer des veilles des nuits précédentes. Aucun des membres de l'équipe ne lui avait spécifiquement adressé la parole après le passage de savon de Spencer. Seul Rice lui avait donné un « good job, sweety ». Elle avait trouvé cela étrange, presque incongru, de la part de cet homme qui portait ses quarante ans sans honte et alignait rarement plus de deux mots à la suite.
Elle avait donc quitté la société un peu abasourdie. Et c'est à ce moment-là que c'était arrivé.
Elle sortait de l'ascenseur, les yeux dans le vague, l'esprit occupé à échafauder les pires conséquences de la dernière mission, quand elle s'était cognée contre quelqu'un.
La première chose qui avait accroché le regard de Mary était cette rousseur éclatante, presque trop vive pour la brune qu'elle était. Puis, les boucles folles avaient révélé un visage rond et couvert de taches de rousseur, que deux yeux d'un vert émeraude venaient animer de la plus mystérieuse des manières.
Mary pouvait bien le dire. Elle était fascinée. Bouche entrouverte, regard fixe, elle resta là un bon moment sans bouger avant de réaliser que la sublime apparition lui avait murmuré des excuses avant de disparaître dans un ascenseur.
Si le temps avait semblé s'arrêter pour Mary, il n'en était pas de même pour le monde autour d'elle. L'incident n'avait duré qu'une demi-minute et n'avait interpellé personne dans le hall d'entrée. Pourtant, la jeune femme en était sûre, son cœur avait explosé, expulsant toute l'énergie vitale qu'il contenait. Elle n'était plus qu'un pantin incapable de se décider, ni à partir, ni à suivre celle qui lui manquait déjà.
Tombée au pays d'Oz, elle était l'homme de fer blanc qui cherchait son cœur. Sauf que cette fois, aucun magicien ne pourrait le lui rendre, parce que c'était Dorothy elle-même qui le lui avait volé.
Elle avait donc fait ce qu'elle faisait de mieux. Elle avait cherché elle-même à revoir sa rousse apparition. Rassurée d'apprendre que l'inconnue travaillait pour Global Security au service de la comptabilité, elle s'était arrangée pour tomber « fortuitement » sur elle à plusieurs reprises. Mais à chaque fois, elle n'avait pas osé l'aborder.
C'est la jolie rouquine qui avait fini par engager la conversation au détour d'un couloir pour une raison stupide et sans intérêt. Peu importait, elle aurait aussi bien pu lui parler de la dernière avancée technologique en manière d'armement ou de la recette de la charlotte aux poires, ça n'aurait fait aucune différence. Mary était trop captivée par sa personne pour envisager d'autres réponses que des affirmations évasives.
Mathilda, car celle qui avait fait exploser le cœur de Mary s'appelait Mathilda – et non Dorothy - comme l'héroïne factieuse de Roald Dahl, avait ri de l'inertie de son interlocutrice, avant de l'inviter à prendre un café après le travail.
Le début d'une aventure incroyable...
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...