Wilmington. Avril. Elizabeth.
Philip Newell devait disparaître de l'esprit de sa sœur. Partant de ce constat, Elizabeth avait agi en conséquence. Elle n'avait pas parlé à Jane de son entrevue avec « maître » Darcy et son client après qu'elle ait eu lieu. Pourquoi aurait-elle été ébranler la fragile construction qu'elle tentait de redresser, en lui imposant une éventualité juridique inique et onéreuse ? Jane était vulnérable. Il fallait la protéger.
D'un autre côté, Jane pouvait lui en vouloir de n'avoir rien dit. Pourtant, Elizabeth avait décidé de prendre le risque. Phil Newell ne devait pas avoir de contact direct avec Jane avant que celle-ci ne soit en capacité de comprendre que l'échec de sa longue relation n'avait rien à voir avec elle. La culpabilité devait d'abord laisser place à la pugnacité.
Quant à Darcy lui-même, même si les diverses rencontres entre eux auraient pu donner lieu à quelques anecdotes amusantes qui auraient pu divertir Jane, elle l'avait occulté. Non pas qu'elle n'ait pas apprécié l'embrasser, mais deux baisers, même fougueux, et une rencontre électrique, à plusieurs mois d'intervalle, ne pouvaient constituer un début de quoi que ce soit. Et ce d'autant plus, qu'il était maintenant un ennemi confirmé. Fitzwilliam Darcy avait donc disparu de son esprit jusqu'au prochain rendez-vous entre avocats.
Sérieuse et inébranlable Elizabeth. Jusqu'à maintenant.
— Bien ! Je vous préviens « Maître » Darcy, je ne sais pas ce que vous faites ici, mais sincèrement, j'espère que la rencontre est fortuite, parce que sinon, cela voudrait dire que vous et votre ami avez de mauvaises intentions à l'égard de ma sœur, et je ne vous laisserai pas faire...
— Vous ne manquez pas d'air ! répliqua-t-il encore plus agacé par sa façon d'appuyer sur le mot « maître » comme s'il n'en avait pas été digne. Si vous comptez utiliser Charles pour que votre « chère » sœur oublie mon client, n'y comptez pas trop ! Je vais faire en sorte que rien n'arrive jamais entre ces deux-là !
— Mais rien n'arrivera, soyez en sûr ! Parce que maintenant que je sais qu'il est votre ami, ce Charles Bingley n'approchera plus ma sœur ! De toute façon, il est aussi inexistant que vous ! Et Jane est loin d'être stupide !
— Permettez-moi d'en douter étant donné sa filiation ! lâcha-t-il en cherchant à la contourner pour rejoindre la table où Charles et Jane discutaient tranquillement en souriant, inconscients de ce qui se jouait à quelques mètres d'eux.
— Oh ! Le ..., mais Elizabeth n'acheva pas sa phrase.
Ce type la mettait hors d'elle, certes, mais il n'était pas question de faire un esclandre dans le bar. Ici, elle n'était pas une brune anonyme. Sa famille et elle venait régulièrement pour boire un verre ou simplement rencontrer des amis. Et même si de ce fait, tout le monde connaissait bien son côté sanguin, elle avait dans l'idée que cela la desservirait, et sa sœur avec, si elle ne parvenait pas à se calmer. Elle s'obligea donc à prendre une grande respiration et lança d'un ton méprisant :
— En même temps, qu'est-ce que j'espérais de la part d'un type qui défend les soi-disant droits d'un sombre crétin comme Philip Newell !
Fitzwilliam Darcy fit aussitôt volte-face, l'air sombre.
— Je travaille dans un cabinet qui compte une dizaine d'avocats. Mon travail est de défendre chaque client du mieux possible, et ce client en particulier contre une décision injuste qui le met à la rue.
— Vous allez bientôt me faire pleurer... Phil n'est qu'un pauvre type qui vient de foutre son couple en l'air et qui n'assume pas, comme un grand nombre de mecs dans sa situation !
— Bien sûr ! Les clichés sur les hommes, maintenant ! Vous ne vous êtes pas dit que peut-être, je dis bien peut-être, mon client avait pu faire une erreur sous l'influence de l'alcool et qu'il regrettait sincèrement.
— Ça aurait pu marcher si ça avait été la première fois. Ce qui n'est manifestement pas le cas.
— Pardon ?
— Il a peut-être nettoyé ses divers comptes sur le net, mais il reste des traces. Et j'en ai retrouvées quelques-unes. Alors ne venez pas me dire qu'il regrette ! C'est faux ! Il veut juste... d'ailleurs, je ne sais même pas ce qu'il attend avec une telle procédure ! Éclairez-moi « maître » !
— Je ne dirai rien de plus sur mon client ! Vous êtes la dernière personne avec qui je devrais en parler ! Contentez-vous de tenir votre sœur en laisse ! Je vais chercher Charles et le sortir de ce traquenard !
— Traquenard ? Comme si Jane avait demandé quoi que ce soit ? Je parie que c'est lui qui est venu à sa table, non ?
— Elle était seule, et ils s'étaient déjà rencontrés aux écuries !
Elizabeth enregistra l'information en se demandant pourquoi sa sœur ne lui avait rien dit la semaine passée sur ce Charles Bingley.
— Une femme seule n'attend pas forcément le prince charmant ! Ni qui que ce soit qui se prend pour tel !
— Charles ne se prend pas pour le prince charmant ! Il a flashé sur votre sœur ! Je me disais bien aussi, une palefrenière ! C'était stupide de ma part de penser que ça pourrait fonctionner !
— Ma sœur n'est pas palefrenière, sombre crétin ! Si vous aviez un peu potasser votre dossier, vous sauriez qu'elle est conseillère financière !
— Plus depuis quelques jours !
— Pardon ?
— Vous n'avez qu'à le lui demander ! Ça n'est pas à moi de vous donner ce genre d'information !
— Vous êtes insupportable !
— Et vous, exaspérante !
— Je crois que l'on peut dire « un partout, la balle au centre », dit alors le barman en posant deux pintes de bière sur le comptoir près des deux adversaires. Je crois que vos gosiers ont besoin de rafraîchissement pour la deuxième manche. C'est la maison qui régale. C'est pas tous les jours que nous avons un aussi bon spectacle avant le week-end.
Darcy, prenant enfin conscience que, si son altercation avec Elizabeth Bennet avait totalement échappé à Charles et Jane, ça n'était pas le cas pour certains clients du pub qui les observaient à la dérobée, en souriant franchement.
Or, Darcy n'aimait pas se donner en spectacle, sauf devant la cour où il déployait ses artifices pour emmener le jury avec lui. En plus, il avait soif. Il faisait trop chaud ici. Il grogna quelque chose d'inintelligible avant de prendre la pinte et de la boire presque entièrement.
Elizabeth s'installa sur un des tabourets du bar et commença à boire lentement, en fixant le reflet de l'avocat dans le miroir face à elle. Elle ruminait les dernières informations que lui avait lancé cet idiot. Qu'est-ce qu'il avait voulu dire par « plus depuis quelques jours » ? Elle verrait avec Jane dès que possible. Pour le moment, elle attendait de voir ce que Darcy comptait faire ensuite. Parce qu'en réalité, Elizabeth était plutôt contente que Jane rencontre quelqu'un qui semblait lui plaire. Depuis la rupture, connaissant sa sœur, Elizabeth avait peur que ça n'arrive plus jamais.
Cependant, que ce Charles soit ami avec ce Darcy ne l'arrangeait pas, et lui prouvait que le destin s'obstinait à mettre cet imbécile d'avocat en travers de son chemin sans arrêt. Mais Elizabeth ne croyait pas aux signes. Elle ne voyait là que l'acharnement irritant du hasard.
Après avoir bu largement, l'avocat sembla hésiter, puis il se dirigea vers la table des deux tourtereaux. Elizabeth le laissa partir. De toute façon, vu les regards que Charles et Jane se lançaient, ça n'était pas un avocat comme lui qui pourrait les séparer de manière durable. Et puis, elle devait parler à Jane.
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Les sœurs Bennet
ЧиклитCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...