Chapitre 61 Revenir parmi les vivants

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New-York. Automne. Jane.

Jane reprit effectivement du poil de la bête. L'été caniculaire fut jalonné de bonnes et de moins bonnes surprises, mais dans l'ensemble, l'aînée des Bennet s'en sortait bien. Trois mois après son accident, elle remarchait presque comme avant, et ses cheveux courts recouvraient la longue cicatrice qui barrait l'arrière de son crâne. Le reste s'estompait ou était en passe de l'être. Même ses peurs irraisonnées.

Charles avait repris sa vie entre deux avions avec des arrêts fréquents à Wilmington. Avec le consentement de la famille et des médecins, il emmena de nouveau sa douce jusqu'à Los Angeles.

Comme lors de son premier séjour, Jane avait adoré la cité des anges, mais elle avait été plus sensible à son côté factice. Elle avait eu l'impression qu'on y ressentait plus que n'importe où ailleurs le côté sombre des stars. L'envers du décor. La jeune femme était revenue avec de beaux souvenirs et la conviction raffermie qu'elle n'y vivrait jamais. New-York lui avait manqué. Bien plus que Wilmington, en vérité, mais elle n'en dit rien à ses parents. Elle avait hâte de reprendre une vie de femme active et libre. Sa convalescence commençait à lui peser.

Tout à son bonheur, Charles avait programmé une présentation de sa bien-aimée à ses parents pour Noël. Ses sœurs n'avaient encore rien objecté. Il était difficile de stigmatiser quelqu'un qui avait frôlé la mort. Ça ne se faisait pas. Jane savait bien qu'elles attendaient leur heure. Quand le soufflet serait retombé, que Jane aurait repris une apparence normale. La jeune femme se préparait. L'amour de Charles l'y aidait. Elle se sentait forte avec un tel homme à ses côtés. Elle se sentait forte et prête à affronter n'importe quelle tempête.

Jane rectifia la position de son col de chemise et réajusta sa veste en se regardant dans le miroir. Elle attrapa sa canne, discrète, en bois de châtaignier, elle lui était encore indispensable. La jeune femme avait encore des faiblesses qu'elle ne parvenait pas à surmonter. Rien de grave, mais très ennuyeux quand on voulait avoir l'air sérieuse à un entretien d'embauche.

Elle avait fait le voyage jusqu'à New-York, deux jours avant pour être bien disposée le jour j. Charles lui avait mis son appartement à disposition, parce que, disait-il, il était aussi le sien désormais. Même si aucun engagement formel n'avait été évoqué. Charles regardait l'avenir confiant. Et il l'imaginait avec elle.

Il avait donc commissionné Fitzwilliam Darcy pour qu'elle ne manque de rien. Ce dernier s'était exécuté sans rechigner, ce que Jane trouvait suspect. Mais n'ayant aucune preuve d'un éventuel coup fourré de la part de l'avocat, et ayant eu la confirmation de l'arrêt de la procédure judiciaire enclenchée par Newell, elle s'autorisa à ne pas y penser pour se focaliser sur ce que l'on attendait d'elle pour l'entretien.

La place était très intéressante et convoitée. Elle partait avec plusieurs handicaps – sa condition physique, et son sexe en premier lieu -, elle le savait, mais voulait croire en ses chances.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur une longue pièce dont chaque mur latéral était occupé par une rangée de chaises bien alignées et toutes occupées par des costumes sombres ou des tailleurs stricts. Deux jeunes femmes avaient misé sur l'originalité en choisissant des couleurs flashy pour leur dit tailleur. Jane remarqua qu'elle était la seule femme en pantalon. Les vieux clichés avaient la vie dure en entreprise. Mais pour elle, pas question de se mettre en jupe avant longtemps. Sa jambe ne le lui permettait pas à moins de vouloir exposer ses cicatrices. Or, elle refusait de faire pitié. Ce qui était assez difficile en soi avec sa coupe de cheveux actuelle. Mais Elizabeth lui avait dit de jouer la carte garçonne à fond, et elle l'avait jouée. Advienne que pourra.

***

— Alors ?

— Alors, je ne sais pas. Le jury était assez énigmatique.

— Le jury ?

— C'est ce dont ils avaient l'air, assis de l'autre côté de la table comme une belle brochette d'avocats imperturbables. Pas eu un haussement de sourcils, même quand je suis arrivée avec ma canne.

— Ils t'ont questionné sur ça ?

— Ils ont été très francs. Directs. C'est la première question que j'ai eue. Il voulait savoir si mon handicap était permanent ou temporaire, parce que je n'avais rien précisé sur les documents que j'avais envoyés. J'ai dit « temporaire » sans rien préciser. Après tout, je n'étais pas là pour étaler ma vie privée.

— Tu aurais pu jouer les trémolos.

— No way, Lizzie. Je ne suis pas là pour faire pleurer la galerie. D'autant qu'il n'y a pas de quoi. Je vais beaucoup mieux. Surtout face à ceux qui sont handicapés à vie ou ceux qui sont morts ce jour-là.

— Toujours à penser aux autres. Revoilà, ma Jane !

— Yippi, yippi kai...

— Va pas te faire enfermer dans un immeuble en pleine prise d'otages par des malfrats, hein ! Pas sûr que Bruce Willis s'en sortirait aujourd'hui ! Alors une Jane Bennet...

Les premiers « Die Hard » avaient été les films préférés d'Elizabeth pendant longtemps. Jusqu'à ce qu'elle rencontre, au détour d'un écran géant, un certain « John Wick », puis un énigmatique « Mr. Wolff ». Elle connaissait toutes les répliques cultes. Et comme elle aimait partager, sa sœur aussi. Jane ne pouvait pas lui jeter la pierre, elle avait elle-même tellement adoré le premier Jurassic Park, qu'elle l'avait vu un bon milliard de fois et ne pouvait pas passer devant un vestige de merchandising sans avoir un petit pincement au cœur. « j'ai dépensé sans compter » résonnait en elle comme un écho à cette débauche de consommation qu'avait entraîné le film à l'époque.

— Tu viens ce week-end ?

— Nope. Impossible. Trop de boulot. Mais je crois que Charlotte aurait bien besoin d'un petit bol d'air pur... Elle avait mauvaise mine cette semaine quand je suis allée m'en jeter un au bar. Elle semblait préoccupée. Un nouveau mec peut-être... Elle n'a rien voulu me dire. Mais à toi, elle dira tout... Tu es bien meilleure que moi pour obtenir d'elle des aveux complets.

— Mais ! À t'entendre, on dirait que je suis une tortionnaire !

Comme seule réponse, elle n'obtint que le rire de sa sœur à l'autre bout du fil.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant