Chapitre 87 La « gentille » maîtresse

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Wilmington. Hiver. Catherine

Il régnait sur la classe un silence plein d'une énergie nouvelle. Les enfants avaient disposé leurs chaises de telle manière que Tim ferait face à chacun d'entre eux. Un demi-cercle parfait face au jeune garçon aux boucles brunes, lui aussi assis bien droit, mais souriant. Car cette manifestation d'intérêt pour lui de la part de ses petits camarades, n'était pas une accusation. Au contraire.

La veille, Will, un petit blond plutôt timide, avait demandé comment faisait Tim pour savoir tout ce que les autres enfants disaient y compris quand il n'était pas à côté d'eux. La maîtresse avait alors parlé d'un pouvoir que chacun pouvait acquérir et avait souri. Tim avait alors signé, et la maîtresse avait ajouté que le garçon voulait bien leur apprendre.

D'où le demi-cercle de chaises face à Tim.

— Timothy est, comme vous le savez déjà, sourd-muet. Il s'exprime uniquement par gestes. Chacun de ses gestes correspond à une expression ou un mot. C'est ? demanda Catherine tout en signant.

— La langue des signes, répondirent en chœur les enfants.

— Très bien. Ce qui veut dire que depuis son arrivée, vous apprenez avec lui une autre langue qui vous sera peut-être utile dans votre vie. Bien. Tim est muet. Bien. Tim est sourd. Très bien. Mais alors comment fait-il pour comprendre ce que vous dites quand vous ne signez pas avec vos petites mains ?

Des haussements d'épaules et des bras levés d'ignorance furent leurs réponses. Certains trépignaient de connaître le secret de Tim. Le petit garçon regardait attentivement ses camarades sans broncher.

— Je vais essayer de vous faire deviner. Vous êtes prêts ?

— Ouiiiiii !

— Bien. Will, tu vas commencer. Tu vas dire un mot sans le dire.

— Mais je ne peux pas.

— Tu articules le mot sans prononcer de son comme si tu voulais parler si bas que personne ne pourrait t'entendre.

Will s'exécuta en articulant « tableau ». Tim, qui avait compris le jeu, signa aussitôt le mot en question.

— Trop fort ! dit Suzy en tapant des mains. À moi ! s'exclama-t-elle avant d'articuler « fleur » que Tim signa aussitôt.

— Il lit dans les pensées, s'écria Genna en rosissant aussitôt.

Toute la classe savait que Genna avait un gros faible pour Tim, à qui elle tentait de donner son dessert à la cantine chaque jour.

— Pas exactement, Genna. À ma connaissance, personne ne possède ce genre de pouvoir dans la vraie vie. Mais Tim a bien une capacité que vous n'avez pas. Enfin, pas encore. Tim peut lire sur les lèvres.

— Lire sur les lèvres ?

— Oui. Quand on prononce un mot lorsque nous parlons, Tim n'entend rien, mais observe attentivement nos lèvres, et il lit le mot. C'est plus difficile pour lui quand on parle vite, et impossible quand on cache sa bouche.

— Trop fort, répéta Suzy avec enthousiasme, tandis que les autres enfants formulaient bruyamment leur plaisir de découvrir le secret du nouveau.

C'est alors que la voix de Stan s'éleva.

— C'est pas vrai. Il nous entend, c'est tout.

— Stan ?

— Il danse. S'il n'entendait pas la musique, il ne pourrait pas danser.

Tim leva son petit visage, soudain beaucoup moins radieux, vers Catherine, et signa rapidement quelque chose qu'elle approuva d'un hochement de tête, avant d'aller mettre de la musique sur le petit poste qui se trouvait derrière son bureau. Tim se leva pour prendre Stan par la main. Ce dernier un peu réticent se laissa faire cependant. Il fut étonné quand Tim lui posa sa main sur le sol.

Derrière eux, les autres enfants firent pareils pour savoir ce que Tim montrait à Stan. Chacun put ressentir alors ce que Tim « entendait » en réalité quand il y avait de la musique dans la classe : des vibrations.

Il y eu des « Oh ! » des « Ah ! », et Tim signa à Stan : « je n'entends pas la musique, je la sens ici. » en posant sa main sur son cœur.

***

Andrew Preston avait le cœur prêt à exploser. Il était venu pour déposer des documents chez le directeur. Ce dernier lui avait proposé d'aller voir la classe de son fils pour constater de son intégration. Il avait accepté, et pas seulement pour Tim, mais il ne l'aurait reconnu devant personne.

Adossé au mur, près de la porte, Andrew avait écouté Catherine expliquer les supers « pouvoirs » de Tim au reste des enfants. Il avait ressenti une vague d'émotions diverses le traverser en quelques minutes. C'était l'effet que lui faisait Catherine à chaque fois. Elle était à elle seule un ascenseur émotionnel incomparable. On aurait pu la croire façonnée pour provoquer chez lui des manifestations de joies pures qu'il pensait avoir perdues à jamais. C'était intense et éprouvant. Toutefois, il n'aurait échangé sa place pour rien au monde. Il aimait cette jeune femme. Il l'aimait bien plus encore qu'il n'avait aimé Lily. Pourtant, il restait à distance.

Parce que ressentir cet amour, aussi puissant soit-il, lui faisait peur. La culpabilité qu'il portait depuis la mort de Lily, venait lui susurrer qu'il allait détruire une autre femme, qu'il ne verrait pas le mal qu'il lui ferait et qu'elle disparaîtrait comme la première.

Cette certitude s'était ancrée en lui, l'empêchant de sauter le pas, de tendre une main vers celle qui, pourtant, lui avait ravi le cœur. Il souffrait donc en silence, et profitait en secret de chaque moment que lui offrait sans le savoir la quatrième des sœurs Bennet.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant