Chapitre 37 Conseil de famille

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Wilmington. Mai. Elizabeth.

Kitty observait Jane dans les bras de Charles sur le trottoir près des voitures. Ils se serraient si fort l'un l'autre qu'elle sentit les larmes venir. Elle aimait tellement les histoires d'amour qui finissait bien. Elle aurait tellement aimé en vivre une, elle-aussi. Peut-être un jour. Peut-être... En attendant, elle se retourna vers la tablée silencieuse qui occupait la cuisine.

Mary avait été mise en bout de table, la joue rougie par la gifle qu'avait eu le temps de lui donner Elizabeth. Bien que l'aînée ronchonnât d'avoir été empêchée de continuer, il était probable qu'elle n'aurait pu en faire plus, car Mary savait très bien se défendre. Elle en avait fait une de ses caractéristiques personnelles.

À sa droite, sa sœur aînée, furieuse donc, qu'on l'ait empêchée de mettre une rouste à sa cadette qui le méritait mille fois selon elle, et Lydia, plongée dans son téléphone, indifférente au drame qui se jouait ici. À la gauche de Mary, Mme Bennet, et une chaise pour elle, Catherine.

— C'est bon. Charly et Jane se sont embrassés, dit-elle en s'asseyant.

— Heureusement qu'il avait mon numéro ! pesta Elizabeth en jetant un regard noir à Mary.

— C'est vrai, Lizzie. Mais cet incident ne te donne pas le droit de frapper ta sœur ainsi ! Charles serait venu de toute façon. Et Jane se serait aperçue de ces faux messages. Ils auraient fatalement eu une discussion...

— Peut-être ! Ou peut-être pas ! Charles ne serait peut-être pas venu. Jane n'aurait peut-être rien vu. Et quand elle s'en serait aperçue, ça aurait été trop tard pour rattraper le coup ! Maman, Mary a fait quelque chose d'impardonnable ! De quel droit décide-t-elle de ruiner la vie de Jane ?

— Ça ne te donne pas le droit de la frapper. La violence ne résout rien. Tu es trop tempétueuse, ma fille.

Elizabeth ne répondit rien, mais serra les poings à s'en faire blanchir les phalanges.

— Mary, continua Mme Bennet, ne crois pas que je prenne ta défense pour ce que tu viens de faire. C'est effectivement impardonnable. Jane n'a jamais été mauvaise avec toi, ni avec aucune autre de ses sœurs. Je ne comprends même pas ce qui t'as pris. Mais je dois reconnaître que depuis que tu fréquentes cette église, je ne comprends plus grand-chose de tes choix.

— Évidemment ! lança Mary avec dédain. Tu vas encore accuser le père Murdock ? Pourquoi pas Finn ? Les deux ? C'est tellement pratique d'avoir autant de coupables sous la main !

— Mary ! Je crois que je suis très tolérante concernant ta vie actuelle ! Ce que je ne veux plus voir, c'est cette haine que tu sembles vouer à tes sœurs, à ta famille ! Elle n'a pas lieu d'être quels que soient les « films » que tu te fais, nous t'aimons et te respectons, comme chacun de nos enfants.

— Bien sûr ! Et il n'y a pas de préférence !

— Bien sûr que non ! s'exclama Mme Bennet outrée que l'on puisse douter de l'amour qu'elle portait à ses enfants.

Lydia avait relevé la tête, intriguée par la tournure que prenait la discussion. Si elle avait l'habitude de la mauvaise humeur et la mauvaise foi de Mary, ça n'allait jamais jusqu'à accuser leurs parents de quoi que ce soit.

Catherine, quant à elle, était horrifiée. De deux ans plus jeune que Mary, elle ne comprenait pas l'animosité de sa sœur envers le reste de la famille. D'autant que toutes les deux profitaient de la généreuse hospitalité de leur parent, qui acceptaient sans rien dire, de les garder sous leur toit pour leur épargner un loyer et des dépenses de nourriture. Elles ne faisaient que participer aux taches communes et donnaient un petit quelque chose pour les courses. Le reste de leur salaire était à leur disposition exclusive.

La colère mal placée de Mary, et sa jalousie, allaient avoir des conséquences. Des conséquences malheureuses. C'était évident.

— Mary ! Comment peux-tu te permettre de parler à maman comme ça ?! lâcha alors Jane qui venait de rentrer dans la cuisine.

— Je ne comprends déjà pas pourquoi tu as fait cela à Jane, mais t'en prendre à maman maintenant, est complètement stupide ! Tu parles de privilèges alors que tu es nourrie et logée depuis plus de deux ans ! Si tu es si malheureuse de vivre avec nous, si tu nous détestes autant, mais prends tes affaires et tire-toi ! T'as un boulot, non ?! Vas-y et lâche-nous ! ajouta Elizabeth en se levant pour aller enlacer les épaules de sa mère qui s'était mise à trembler autant de rage que de désespoir.

Kitty avait fait de même, et Jane se joignit à elle sous le regard haineux de Mary qui, emportée par sa rancœur si souvent mise en veilleuse, ne parvenait pas à se calmer suffisamment pour éviter le désastre en cours.

— Rhooo, les relous ! L'hystérie collective ! lança alors Lydia qui ne se sentait pas du tout concernée.

À 16 ans, la jeune fille ne vivait pas dans le même monde que ses sœurs. Elle se leva et quitta la cuisine en faisant claquer son chewing-gum, de nouveau plongée dans son téléphone. Amy Foster venait de lui envoyer un message ultra important concernant leur projet secret de cet été. Elle n'avait que faire de la vie de ses sœurs. Elle avait la sienne à construire.

Mary se leva, blême de rage. Sans un mot, elle dévisagea les autres femmes de sa famille et sortit. Au fond d'elle, elle aurait aimé que sa mère crie son nom avec une brisure dans la voix, la rattrape et l'enlace en lui demandant de rester, mais rien de cela ne se passa. Elle réintégra sa chambre seule, sortit son sac de voyage et commença à y fourrer ses vêtements.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant