New-York. Juillet. Elizabeth.
Après s'être assise entre Paul et Kelly, Elizabeth continua à tourner et retourner le problème dans sa tête, en silence. Elle hésitait à partir immédiatement. Shana était entre de bonnes mains, il ne servait à rien d'attendre ici, et surtout dans cette tenue. Les clim de l'hôpital tournait à plein régime, et elle avait froid. Un comble !
Elle entreprit de convaincre ses deux collègues de partager un taxi pour rentrer chez eux. Elle s'occupait de prendre des nouvelles de Shana en envoyant un message au mari, et de la soirée de Secrets Stories en appelant son patron. Paul et Kelly ne se firent pas prier. Ils étaient épuisés, tant nerveusement, que physiquement. La journée avait été longue et industrieuse.
Elizabeth se retrouva donc rapidement seule avec son téléphone pendant les quelques minutes nécessaires à la prise de nouvelles. Shana poussait toujours, et le patron était en voiture sur le chemin de son appartement. Tout était à sa place. Elle n'avait plus qu'à rentrer elle-même. Elle attrapa son sac et se dirigea vers la porte avec la vague sensation d'être une gazelle fuyant dans la savane.
— Mlle Bennet ? appela une infirmière au moment où la jeune femme allait passer les portes.
— Oui. C'est moi, s'entendit-elle répondre, tout en se morigénant intérieurement.
— Votre fiancé va bientôt sortir. Il voulait s'assurer que vous seriez là pour l'aider à rentrer. Il ne va pas pouvoir conduire à cause de son bras.
Elizabeth se rassit avec un sourire rassurant, tout en contenant son irrépressible envie de fuir cet endroit, et Fitzwilliam Darcy. Mais pourquoi était-elle allée le voir ? Si elle avait pu se frapper sans éveiller l'intérêt du personnel psychiatrique, elle l'aurait fait.
***
L'appartement était à l'image de son propriétaire : classique et sobre. Rangé et peu coloré. L'inverse de celui d'Elizabeth.
— Je n'y suis pas souvent, s'excusa presque Fitz en voyant son regard consterné.
Il se fustigea lui-même ensuite de s'abaisser à s'excuser d'avoir un appartement froid et impersonnel. Et si ça lui plaisait à lui ?!
— Je pose vos affaires où ? se contenta-t-elle de dire en agitant brièvement les clés de voiture entre ses doigts.
— Qu'importe, répliqua-t-il un peu trop froidement à son goût.
— Qu'est-ce qu'il y a encore ?! lança-t-elle en posant vivement clés, veste, et serviette en cuir sur le comptoir de la cuisine.
Pendant le bref trajet en voiture, il n'avait cessé de la houspiller quant à sa manière de conduire. Elle n'avait pas bronché, bien que l'envie ne lui manquât pas. Mais il était blessé et pas au mieux de sa forme, elle ne se voyait pas en rajouter. Maintenant, dans l'appartement, il continuait à être désagréable, alors qu'elle aurait aussi bien pu le laisser rentrer en taxi et trouver un moyen de venir récupérer sa voiture le lendemain. Ce qu'il était pénible quand même !
— Rien. Vous pouvez y aller, Mlle Bennet. Je crois avoir assez abusé de votre temps et de votre « sollicitude ». Merci, répliqua-t-il en s'asseyant sur le canapé du salon.
Il avait basculé sa tête en arrière en l'appuyant sur le dossier. Les yeux fermés, il soupira. La douleur était encore matée par les médicaments qu'on lui avait administrés, mais il la sentait à la frange, et se préparait à serrer les dents jusqu'à l'aube, moment où il pourrait reprendre un cachet.
Dans cette position, et la mise défaite – sa chemise était tachée de sang et passablement malmenée. Son pantalon, lui aussi taché, avait connu des jours meilleurs. Sa cravate avait disparu, sacrifiée au champ d'honneur sans doute -, il paraissait vulnérable. Pourtant, Elizabeth refusa de s'abandonner au sentiment que cette image éveillait en elle.
— Vous n'êtes pas croyable ! Je prends sur mon temps de sommeil pour vous aider et vous ne cessez de râler.
— Je n'ai pas râlé, répondit-il en restant dans la même position.
— Si !
— Non. Je n'ai pas râlé. J'ai mal.
— Vous avez mal où ?
— Là ! se contenta-t-il de dire en montrant son épaule. Et là ! Cette fois, il montrait sa mâchoire. Et là ! Enfin, il montra son arcade. Par quelle miracle son nez n'avait pas été cassé ? Il n'en savait rien. En tout état de cause, il avait été épargné et ne le faisait plus souffrir.
Elizabeth attrapa un sachet de légumes surgelés dans le frigo et l'enveloppa d'un torchon, avant de lui appliquer sur l'épaule, avec toute la délicatesse dont elle était capable.
— Merci, soupira-t-il toujours les yeux fermés, mais en posant une main sur la sienne.
Elizabeth fixa cette main aux phalanges abîmées qui tenait prisonnière la sienne, intacte. Dans un élan du cœur qu'elle ne parvint pas à contrôler cette fois, elle s'appuya de sa main libre de l'autre côté de Darcy en se penchant légèrement et posa un baiser léger sur les lèvres de l'avocat blessé.
Le bras valide de Fitz s'enroula immédiatement autour de la taille de la jeune femme et l'invita à s'asseoir sur lui. Ce qu'elle fit sans réfléchir, mais toujours avec délicatesse. Fitzwilliam n'avait rien à faire de cette douceur. Il avait une luxation de l'épaule, un bleu à la mâchoire, et une arcade recousue, il n'était pas en sucre. Son désir d'Elizabeth était bien plus fort que la douleur encore tenue en laisse par les médicaments. Bien plus impérieuse que la nécessité de dormir. Il s'empara de sa bouche avec avidité.
Elizabeth était partagée entre son propre désir, et sa volonté de fuir Fitzwilliam Darcy. Elle était prête à utiliser le prétexte de ses blessures pour satisfaire son inconsciente certitude du danger que représentait cet homme pour elle. Mais il le lui refusa en l'emprisonnant de sa main libre, en lui faisant sentir le désir qu'il avait d'elle, en le partageant par ses caresses et ses baisers. Elle se laissa alors emporter par son propre élan et ne se préoccupa plus que des gémissements à peine contenus qu'elle provoquait chez l'homme qu'elle avait à sa merci.
***
Le réveil fut douloureux à plus d'un titre pour Fitzwilliam. Allongé sur le canapé, partiellement nu, et tout aussi partiellement recouvert d'un plaid qui, d'ordinaire, trônait parfaitement plié sur l'un des accoudoirs du canapé, il constata avec une certaine contrariété qu'il était seul dans son appartement, alors que ce premier matin du dernier week-end de juillet était bien entamé. Elizabeth était partie comme une voleuse. Sans même laisser un mot.
Fitz se leva péniblement et entreprit de se laver de cette nuit mémorable à plus d'un titre. Ce qu'il avait d'abord vécu comme la pire soirée de sa vie, s'était finalement achevée sur une apothéose de jouissance qu'il n'avait jamais atteint avec aucune autre femme jusqu'à présent. Était-ce la conséquence de la montée fulgurante de l'adrénaline au cours de la bagarre ? Le lent, mais non moins délicieux, espoir de voler de nouveau un baiser passionné à Elizabeth à l'hôpital ? Ou simplement l'addition des médicaments à une confusion émotionnelle incontrôlable ? Quoi qu'il en soit, il n'avait qu'une chose en tête en cet instant : transformer l'essai et mettre de nouveau la jeune femme dans son lit. Il devait avoir des certitudes. C'était dans son caractère.
Toutefois, si faire l'amour avec Elizabeth Bennet lui avait procuré un plaisir si intense qu'il en avait oublié la douleur, ça n'était plus le cas dans ce matin bien trop ensoleillé et encore caniculaire. À peine sorti de la douche, il se précipita sur les cachets qu'on lui avait remis à l'hôpital.
Ensuite, il s'installa avec son téléphone en main, dans son canapé à qui il avait rendu son aspect impersonnel et froid. Il ne chercha pas à appeler à Elizabeth, dont il avait eu le numéro en consultant le téléphone de Charles sans le lui dire. Il savait qu'elle ne répondrait pas. Une femme qui disparaissait sans un mot après avoir passé une nuit torride, était une femme qui regrettait. Pour le moment, il la laissait à ses contradictions. Lui ne regrettait rien. Il en redemandait même. Mais composer avec les paradoxes de Mlle Bennet était un art du combat qu'il découvrait à peine. Il devait d'abord se remettre avant le prochain round.
— Salut, mon pote. Tu ne connaîtrais pas une jolie infirmière à domicile qui viendrait vérifier mes pansements ?
— Bon sang, Fitz ?! De quoi tu parles ? s'exclama Charles Bingley depuis Los Angeles où il se trouvait pour le moment.
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Les sœurs Bennet
ChickLitCette histoire s'inspire très librement des personnages d'"Orgueil et préjugés" de la grande Jane Austen. Pas de comparaison possible, mais un roman autour des sœurs Bennet de nos jours. Cinq sœurs, cinq cœurs en quête d'amour, cinq destins romanti...