Chapitre 34 Opposition, affrontement et confusion

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Wilmington. Mai. Jane.

Lorsqu'il vit la voiture de Charles se garer devant la maison, Fitzwiliam poussa un soupir de soulagement. Pas tant parce qu'il s'inquiétait pour son ami, mais plutôt parce qu'il était fatigué d'occuper les deux sœurs qui ne cessaient de spéculer sur cette Jane Bennet qu'elles ne connaissaient pas, mais qui parvenaient à faire galoper leur frère en les abandonnant.

Quand la Jane en question descendit de la voiture, aidée par Charles, Fitz se dit qu'il allait sans doute assister à une curée dont son ami n'avait même pas idée. Jane Bennet n'appartenait pas au monde des Bingley. Pas assez fortunée. Pas assez diplômée. Pas assez consciente de l'intérêt qu'elle pouvait susciter, ni de sa beauté. Simplement « pas assez ».

Si Charles n'en avait cure, ses sœurs, elles, sauraient lui rappeler ce qu'il était et ce qu'il était en droit d'attendre d'une femme. Et ça n'était définitivement pas la tiède passion de Jane Bennet. Sans compter qu'elle se séparait à peine d'un homme avec qui elle avait vécu pendant cinq ans ! Cinq ans ! Ça n'était pas rien ! Et pourtant, ça n'avait l'air que d'un détail pour Jane qui ne semblait pas affligée par la fin de cette longue relation. Pas plus qu'elle ne semblait affectée par la perte de son emploi. Rien ne semblait troubler l'imperturbable jeune femme. Définitivement, ça n'était pas bon signe pour Charles.

***

— Charles ! Comment as-tu pu nous abandonner ainsi ! s'exclama Louisa dès que son frère eut mis un pied chez lui.

— Je crois que c'est de ma faute, dit Jane en souriant. Je suis navrée.

Caroline, qui s'était contentée de boire une gorgée de son chocolat chaud sans quitter des yeux la jeune femme que son frère tenait par la main, enregistra que son sourire disait le contraire de ce que qu'elle venait de dire.

— Ah ! Et vous êtes ? demanda Louisa avec un petit air dédaigneux.

Caroline adorait sa sœur aînée. Elle n'avait pas son pareil pour mettre les autres, mal à l'aise.

— Je te présente Jane Bennet, Louisa, dit alors son frère sans paraître remarquer le ton de sa sœur.

Ton qui n'avait pas échappé à Jane, cependant. Sans se départir de son sourire, la jeune femme demeura en retrait de Charles et attendit patiemment la suite. Elle n'avait pas vocation à s'opposer aux sœurs de celui que son cœur appelait. Elle n'avait même pas envisagé que leur présence puisse être un problème. Charles paraissait être un homme déterminé dont le jugement s'accommodait sans difficulté des obstacles.

En cela, Jane avait tort. Si effectivement Charles prenait la grande majorité de ses décisions seuls, il n'en restait pas moins attaché à sa famille et à ce qu'elle pourrait lui donner de conseils et de recommandations.

Lorsque Charles annonça de manière assez naturelle que Jane et lui s'aimaient, les deux sœurs échangèrent un regard lourd de sens qui n'échappa qu'à Charles, trop heureux de tenir Jane contre lui. La jeune femme, elle, sut immédiatement ce qui allait suivre. Et cela ne manqua pas. Il y eut de nombreux sourires hypocrites, des effusions de joie factice et des embrassades teintées de mépris. Au point que Jane prétexta de devoir honorer une promesse faite à sa mère pour s'échapper du traquenard dans lequel elle avait mis les pieds sans le vouloir.

Fitzwilliam se proposa de la ramener, car il avait à faire en ville. Comme Jane, mais pour des raisons bien différentes, il était convaincu qu'il était temps de laisser Charles avec ses sœurs.

***

— J'imagine que vous êtes content ? demanda sèchement Jane, à peine montée dans la voiture de Darcy.

— Content ? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.

— Bien sûr ! Ce que vous pouvez être désagréable...

— Désagréable ? Je vous ramène chez vous...

— Nous savons tous les deux que vous ne le faites pas pour me rendre service, mais pour m'éloigner le plus vite possible de Charles... D'ailleurs, ça n'est pas chez moi qu'il faut me ramener, mais au centre équestre ! Ma voiture est là-bas.

— Vous vous débrouillerez avec votre famille, répondit-il sèchement en prenant résolument la direction de la ville.

— Ok ! Laissez-moi ici !

— Pas question que je vous laisse sur le bord de la route !

— C'est ce qu'on va voir, dit-elle en appuyant sur le déverrouillage des portes et en ouvrant sa portière alors que la voiture amorçait un ralentissement pour négocier un virage.

— Mais vous êtes complètement dingue, hurla Fitzwilliam en donnant un grand coup de frein.

« Heureusement, il n'y avait personne sur la route » pensa-t-il aussitôt, tandis que Jane descendait sans se préoccuper de lui.

— Remontez, Mlle Bennet !

— Allez-vous faire cuire un œuf, Maître Darcy ! Et je parle poliment !

— Bon sang ! Mais vous êtes...

— Je sais ! Et vous, vous êtes un imbécile ! Mais ça ne change rien à l'affaire ! Je vais au centre équestre à pied ! Et vous, vous dégagez de mon horizon ! Bien le bonjour à « Javotte et Anastasie », j'ai été ravie de les rencontrer ! lança Jane en marchant à reculons un instant pour que Fitz la voit bien quand elle lui fit un geste de salut militaire ironique.

Puis, la jeune femme s'engouffra sur un sentier qui, elle le savait, la mènerait au centre bien plus rapidement qu'en suivant la route goudronnée.

— Les filles de cette famille sont toutes totalement folles, dit Fitz en remontant dans sa voiture en claquant la portière.

Il n'était vraiment pas loin de penser que Philip Newell avait échappé à une vie de servitude en brisant sa relation avec Jane Bennet. Peut-être que l'« erreur » qu'il avait commise, n'était en fait qu'une ultime tentative de son subconscient d'échapper à cette famille.

***

Jane marchait d'un bon pas. La colère était un moteur puissant. Elle ne mit qu'une demi-heure à rejoindre le centre équestre et à récupérer sa voiture. Pendant sa marche rageuse et énergique, elle avait eu le temps de réfléchir à la situation.

Elle, si peu sujette à la colère, calme en toute occasion, se surprenait à réagir comme aurait pu le faire sa sœur Elizabeth. Et contre toute attente, cela ne la rendait ni malade, ni contrariée. Au contraire. Dire ce qu'elle pensait à Fitzwilliam lui avait fait du bien. Elle commençait à comprendre pourquoi Elizabeth se laissait si souvent emporter par ses sentiments et réagissait si intensément. C'était pour elle un moyen de se libérer des tensions qui l'habitaient en permanence.

La réplique de Jane aux contrariant Darcy, lui prouvait que Charles lui plaisait de manière indéniable. Mais était-ce assez pour supporter son entourage ? Pour se battre et remporter cette victoire ? Elle l'ignorait.

Elle n'avait jamais eu à affronter ce genre d'animosité auparavant. Phil était fils unique, et ses parents, qui l'avaient eu tard, étaient deux gentils petits vieux qui ne tarissaient pas d'éloges sur elle. Quant aux amis de Phil, ils n'avaient jamais eu l'ascendant que semblait avoir Fitzwilliam Darcy sur Charles Bingley.

La situation se révélait donc plus délicate qu'il n'y paraissait. L'assiduité avec laquelle Charles la poursuivait, convaincu qu'il était par le couple qu'ils pourraient devenir ensemble, était-elle le signe d'un amour profond comme elle l'espérait ou simplement une volonté de la posséder au plus vite sans penser à faire durer leur relation ?

Confusion, confusion. Encore. Toujours. Jane avait besoin d'Elizabeth de manière urgente.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant