Chapitre 18 Se perdre sans savoir comment

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Wilmington. Avril. Jane.

Comment expliquer ce qui était en train d'arriver ? Incompréhensible ? Inconcevable ? Jane n'avait pas trop bu et elle ne faisait pas partie des femmes qui se jette dans les bras du premier venu. Et pourtant ! Après seulement trois semaines à vivre dans un brouillard affectif quasi permanent, le cœur de la jeune femme s'emballait pour un presque inconnu, un type que le hasard avait mis sur sa route sans qu'elle n'ait rien demandé. Voilà qui la questionnait.

Est-ce que cela voulait dire que son amour pour Philip n'avait pas été vrai, concret ? Est-ce que cela voulait dire qu'elle se fichait éperdument de ce qu'il pouvait faire ? Est-ce que cela voulait dire qu'elle ne l'avait jamais réellement aimé ? Tout était très confus. Notamment parce qu'elle se rendait bien compte qu'elle n'avait jamais éprouvé pour Philip ce qu'elle commençait à ressentir pour Charles Bingley : une attirance nourrie du désir de l'autre.

C'était nouveau, surprenant, et pas du tout désagréable.

Pourtant, Jane resta de marbre face au tourbillon de ses propres sentiments. Son joli sourire figé sur les lèvres, ses yeux rivés sur cet autre qui ne semblait pas voir son désarroi, elle écoutait Charles lui raconter sa semaine avec force détails, notamment son désir ardent de la revoir, et celui de monter Olympus. Le mauvais esprit d'Elizabeth aurait sans doute ajouté, « et non pas l'inverse ».

L'évocation du cheval sembla débloquer quelque chose chez Jane, qui prit alors la parole pour faire un rapport complet de sa propre semaine au centre équestre. Parler des chevaux lui paraissait moins insurmontable que de parler d'elle-même. Elle était en terrain connu et stable. Et puis, sincèrement, qu'aurait-elle eu à dire d'elle-même ? Elle se sentait insignifiante face à Charles qui semblait avoir une existence foisonnante d'activités diverses et d'amis nombreux.

Même quand elle était à New-York, elle n'avait pas autant de choses à faire ou d'amis à voir. Son existence était assez plate. Elle s'en rendait d'autant plus compte maintenant face à lui. Bien plus en tout cas que lorsqu'elle se comparait à Elizabeth qui lui paraissait toujours dans l'excès inverse.

Peut-être que Finn et Mary avaient raison finalement ? Peut-être que Philip en avait eu assez de cette vie plan-plan, qu'il avait eu besoin d'évasion à cause d'elle... Le mariage avait dû le terroriser... Bon sang ?! Elle débloquait ?! Elle aussi, le mariage lui avait fait peur ! Elle n'avait pas sauté sur le premier venu pour autant !

Et puis, flûte ! Philip aussi était ennuyeux à mourir ! Il passait ses week-ends à trier et ranger religieusement ses cartes de base-ball. Et puis, elle ne supportait pas son besoin compulsif de ne rien laisser traîner dans le salon de l'appart pour en faire une vitrine sans vie de magazine de déco... des fois que quelqu'un viendrait inopinément ! Maintenant qu'elle y songeait, la façade, le paraître, avait toujours eu beaucoup d'importance pour Philip. Quand ils sortaient – peu –, c'était toujours pour aller dans des endroits côtés, à la mode où il prenait des photos sans spontanéité qu'il publiait aussitôt sur son compte insta.

Quand elle souhaitait sortir pour voir une expo ou simplement flâner, il rechignait à l'accompagner. À moins qu'il ne s'agisse d'un lieu dont il avait entendu parler pour une raison ou une autre.

Et puis, il y avait sa façon de faire l'amour. Sans fantaisie ou réel désir. Il lui donnait rendez-vous pour être sûre qu'elle soit prête à l'accueillir. Genre, il fallait qu'elle soit passée avant chez l'esthéticienne et le coiffeur, voire même au spa... C'était, selon lui, la condition à des relations harmonieuses et inégalables. Aucune spontanéité. Pas de passion. « Tu parles, Charles ! Inégalable, mon cul ! » songea-t-elle en pensant fortement à l'influence néfaste d'Elizabeth sur elle.

Jane se demandait comment elle avait pu supporter tout cela ? Non. Elle ne se le demandait pas, car elle connaissait la réponse. L'habitude, le confort, la peur aussi. De la solitude, de tomber sur pire, car Philip n'était pas si terrible. Il lui offrait des fleurs de temps à autre et ne laissait pas traîner ses vêtements sales dans toute la maison. Il nettoyait sa tasse à café le matin et rabattait la lunette des toilettes. Et puis, il était stable, fiable. Enfin, jusqu'à il y a trois semaines.

Maintenant aux vues des notifications qu'elle voyait s'accumuler sur son téléphone, il était vindicatif. Ce qui était assez paradoxale vue que son comportement à lui, était la cause de leur rupture. Il n'avait pas dû supporter, ni le mur de silence qu'elle lui opposait, ni les insultes que n'avait pas manqué de lui lancer Elizabeth quand elle l'avait vu...

***

Charles observait Jane. Il ne faisait que ça. Son visage si magnifiquement impassible. Ce léger sourire flottant sur ses lèvres qui lui donnait un air énigmatique, comme celui de cette Joconde dont tout le monde lui avait rabattu les oreilles quand il était allé à Paris, et qu'il n'avait qu'aperçue entre deux touristes chinois. Maintenant, il comprenait l'attraction que pouvait avoir un tel sourire.

Il avait très envie d'embrasser Jane. Goûter ses lèvres. La faire rougir de plaisir. Là, maintenant. Pourtant, il n'en ferait rien. Il avait compris le problème de la jeune femme. Elle venait de rompre avec un homme qui avait noyé son amour dans l'apparence d'une relation parfaite, et qui avait foutu en l'air cette même relation, en pétant un câble un soir de beuverie. Qui que soit ce type, c'était indéniablement un imbécile. Ravager le cœur d'une fille comme Jane était un crime qui aurait dû être passible d'une lourde peine.

Charles regrettait de n'avoir pas rencontré la jeune femme plus tôt. Avant qu'elle ne soit trompée et qu'elle ne doute d'elle-même. Mais peu importait en vérité, il allait la conquérir, et sa victoire n'en serait que plus glorieuse.

Il allait prendre le temps, mais ne laisserait pas tomber à moins que Jane ne lui fasse comprendre qu'elle ne voulait rien avoir à faire avec lui. Dans ce cas uniquement, il renoncerait. À regret cependant.

Il était convaincu que Jane Bennet était la femme de sa vie. C'était une sensation nouvelle qu'il n'avait jamais eu aucune de ses ex. Pas même avec Riley qui lui avait pourtant brisé le cœur. Tout était différent avec Jane. Tout pouvait l'être grâce à elle.

Non. Il n'abandonnerait pas.


Les sœurs BennetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant